Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/1009

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y a dans les religions brahmaniques, à côté des doctrines, un ensemble de rites dont le fond est toujours le même, et dont les parties accessoires varient selon la personne divine à laquelle ils s’adressent. Ces rites secondaires ont apparu avec les divinités nouvelles : ainsi la secte qui adore Krishna suit un rituel qui s’éloigne beaucoup du çivaïsme et du culte sévère des adorateurs de Vishnu ; mais outre ces rites secondaires il y a dans l’Inde certains rites fondamentaux dont l’analogie avec les rites chrétiens a frappé tous les savans. L’autel, le feu qui y brûle, le pain sacré et la liqueur spiritueuse du sôma que le prêtre consomme après les avoir offerts à la Divinité, la prière qu’il chante, et qui est toujours une rogation où les biens physiques et moraux sont demandés, tous ces éléments du culte se trouvent dans le brahmanisme sous toutes ses formes et à toutes les époques de son existence. Quand même on ne posséderait pas les textes du Vêda, on pourrait présumer que ces rites essentiels sont antérieurs à l’organisation de la société brahmanique et à la constitution définitive de cette religion. Ce n’est plus là d’ailleurs une hypothèse, puisque la lecture des hymnes védiques nous a dévoilé à la fois, dans ces dernières années, l’origine du panthéisme oriental, des divinités indiennes, de leurs figures, de leurs attributs symboliques, et enfin des rites permanens par lesquels on les honore encore aujourd’hui.

Krishna est une incarnation moderne de Vishnu. Brahmâ et Çivà ne sont pas non plus des divinités védiques. Le mot brahman est souvent employé dans le Vêda, mais pour signifier la prière, le rite, la religion, dont les actes s’accomplissent dans l’enceinte sacrée. L’autel en est comme la figure : il est quadrangulaire et regarde les quatre points cardinaux, ce qui plus tard a fait représenter Brahmâ avec quatre visages. La conception de ce dieu s’est substituée insensiblement à celle d’Agni, qui est à la fois le feu physique (en latin ignis), la chaleur vitale et le principe pensant toujours uni à la vie. Agni est la grande divinité des hymnes védiques. Le panthéisme ne s’y trouve qu’en germe et à l’état de tendance, mais il est déjà tout entier, pour ainsi dire formulé, dans les commentaires du Vêda qui furent composés entre la période des hymnes et les temps brahmaniques. C’est donc à cette époque que la pensée aryenne a pris dans l’Inde une direction définitive. Jusque-là, le naturalisme avait été le fond de ses doctrines : les grands phénomènes de la nature avaient seuls occupé la pensée de prêtres qui étaient en même temps poètes, pères de famille, laboureurs et guerriers. Au-delà de ces phénomènes, ils avaient conçu les forces d’où ils émanent, et, sans se faire d’illusion à eux-mêmes sur la réalité personnelle de ces puissances, ils leur avaient prêté l’intelligence et la vie. Dans cette porte de panthéon mythologique, Agni occupe la première place.