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gagné l’inappréciable chance de conserver peut-être cette précieuse vie ; mais pour rendre à notre jeunesse quelque amour du vrai beau, pour rallumer le feu sacré, relever les courages, quel auxiliaire qu’un semblable atelier ! Oublie-t-on ce que fut celui de M. Ingres à son premier retour de Rome, ce qu’en trois ou quatre ans cette école privée répandit dans notre monde artiste de vie, de flamme et de noble passion ? Sans le brusque départ du maître, sans son exil volontaire, qui laissa trop tôt sans culture les germes qu’il avait semés, nous nous serions trouvés mieux armés, mieux pourvus de vaillans défenseurs au jour où l’invasion du goût faux et sceptique qui nous travaille maintenant devint plus menaçante. Qui sait ? quelques années de plus, et un autre Mandrin naissait peut-être à sa parole. Des ateliers particuliers affiliés à l’école, gravitant autour d’elle, se distinguant les uns des autres par des caractères tranchés, par de franches diversités de tendance et de style, puis au centre l’école, maintenant au contraire avec constance et unité le respect de la ligne, le culte du dessin, voilà pour nous le type, l’idéal, la condition première de l’enseignement des arts dans ce pays.

Mais quoi ! nous ne craignons donc pas de perpétuer cette étrange lacune que M. le surintendant des beaux-arts signale dans son rapport, et qu’il est si heureux de voir enfin comblée ! Nous trouvons donc tout naturel que l’école, depuis deux cents ans, n’ait professé que le dessin, qu’elle ne fasse pas à la peinture, à l’art par excellence des modernes, l’honneur de l’enseigner chez elle ! La peinture oubliée à l’École des Beaux-Arts, dans une école où les peintres sont en majorité, cela peut-il se comprendre ?

L’oubli serait étrange en effet, si c’était un oubli, si, dès son origine, l’école n’avait été fondée sur ce principe qu’on croit inventer aujourd’hui, le respect du sentiment individuel, ou plutôt sur cette juste idée, que, tout en exigeant un certain fond de sérieuses études publiquement constatées, il faut être sur tout le reste éclectique et tolérant. L’école ne s’est jamais considérée comme suffisant par elle seule à l’enseignement de tous les arts du dessin ; elle a toujours supposé qu’elle serait entourée d’un certain nombre d’ateliers où l’éducation de la jeunesse, dans les parties de l’art qui touchent de plus près au sentiment intime et au goût personnel, pourrait suivre son libre cours. Ainsi s’est opéré comme un partage d’attributions entre l’enseignement officiel, directement donné par l’état, ou, ce qui revenait au même, par la corporation qui le représentait, et l’enseignement particulier : à l’un ce qu’il y a dans l’art de plus fondamental, de plus immuable, de moins conventionnel, de plus susceptible de démonstration rigoureuse, c’est-à-dire