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considérables, la capitation n’était rien ; mais la plupart se contentaient de petits profits, et la surtaxe qu’on leur imposait était une mesure véritablement prohibitive. Le corps législatif reconnut bientôt que cette façon d’exclure un peuple était non-seulement injuste et d’un mauvais exemple, mais nuisible à la colonie. La chambre de commerce de Melbourne demanda par voie de pétition que les Chinois fussent affranchis de toute taxe spéciale. Elle faisait valoir avec beaucoup de sagesse que ces mesures fiscales, sans avoir attiré un Européen de plus, avaient eu pour résultat de priver le pays de quelques milliers de travailleurs. Elle disait encore combien il était désirable que l’Australie se mît en relations fréquentes avec l’Asie orientale. Si l’on ne les avait pas repoussés, il y aurait maintenant 75,000 Chinois dans la colonie au lieu de 25,000; or le mouvement commercial auquel donne lieu cette population flottante n’est pas à dédaigner. La cause des Asiatiques semble aujourd’hui gagnée; les taxes spéciales ont été réduites, et d’un jour à l’autre on les supprimera tout à fait. Le gouvernement en a si bien reconnu l’injustice qu’il a soin de réserver autant que possible le produit de cet impôt pour les besoins spéciaux de la colonie chinoise.

Si peu que l’on s’intéresse au sort du peuple chinois, la question dont il s’agit ici n’est pas dénuée d’importance; il faut d’ailleurs l’envisager d’un point de vue plus élevé. La conduite des Australiens en cette circonstance a été un démenti aux principes de liberté économique qui ont fait la fortune de leur pays. Qu’ils traitent les Asiatiques avec dédain, comme les Américains du Nord traitent les nègres, on ne s’en étonnerait pas beaucoup, c’est un préjugé de race que l’autorité locale ne peut pas détruire; mais leur interdire le continent, ne pas vouloir qu’ils concourent à l’œuvre commune de la mise en valeur d’un pays nouveau, c’est imiter la politique étroite et personnelle des Chinois eux-mêmes, qui ont fermé pendant si longtemps leur empire aux Européens. C’est surtout un mauvais précédent. Les Anglais, peut-on se demander, n’eussent-ils pas agi de même, si, au lieu d’une invasion de Mongols et de Tartares, ils s’étaient vus menacés par une invasion d’immigrans français ou allemands? L’Angleterre n’occupe encore qu’une bien faible partie du continent austral, et cependant nous nous habituons volontiers à considérer ce continent tout entier comme un domaine qui lui appartient. Il n’en serait plus ainsi le jour où elle aurait la prétention d’en exclure tous autres que les sujets britanniques. Du moment que l’Australie ne serait plus un champ ouvert à l’activité de tous les peuples sans distinction de race ni d’origine, chacun d’eux ne serait-il pas fondé à y réclamer sa place ?

On vient de voir quelle part les diverses nations du globe pren-