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Il n’en est pas de même de l’émigration chinoise, dont nous avons déjà montré l’importance, et sur laquelle il faut revenir. En 1837, alors que la main-d’œuvre était rare, certains habitans de la Nouvelle-Galles du Sud eurent l’idée d’importer des travailleurs chinois; néanmoins ce ne fut que vers la fin de 1848 qu’on vit arriver le premier navire chargé d’une centaine de ces immigrans qu’un armateur amenait par spéculation. Il n’y avait que des hommes sur ce navire, et les colons prudens manifestèrent dès cette époque la crainte que leur inspirait l’invasion de ces Asiatiques, inférieurs en intelligence, privés en outre de la société de leurs femmes et de leurs enfans, dont la présence les eût maintenus. Quelques années plus tard, lorsque la réputation des mines d’or de Ballarat se répandit dans le monde, les Chinois arrivèrent d’eux-mêmes, mais encore sans se faire accompagner par leurs femmes. Aujourd’hui cette nation est représentée dans la province de Victoria par plus de 25,000 individus, dont huit femmes seulement, presque tous occupés au travail des mines ou cantonnés dans les villes qui environnent les districts miniers. Sobres, travailleurs, économes, pacifiques, les Chinois font preuve d’excellentes qualités, et cependant la colonie ne veut pas d’eux. Ils forment une petite société à part au milieu de la grande famille européenne. Dans les villes, ils habitent un quartier qui leur est réservé, ils ont même leurs cimetières séparés. Bien plus, en voyant que les Européens ne les admettaient pas volontiers à leurs côtés, ils ont établi pour leur usage particulier des services de voitures publiques qui desservent les principaux centres de la province. Ils ne se livrent pas, comme les autres colons, aux excès de liqueurs fortes qui ont fait tant de ravages dans la population; mais ils manifestent une passion effrénée pour le jeu. Au reste, ils sont mêlés à toutes les affaires. A Melbourne, où ils sont assez nombreux pour occuper une rue entière, on trouve de riches armateurs chinois qui font un commerce très étendu avec l’Asie. Humblement soumis à toutes les obligations légales de la contrée où ils viennent s’établir, ils y conservent néanmoins leurs habitudes; ainsi ils ont leurs bouchers, leurs marchands d’opium. Doués d’une ténacité extraordinaire et d’une patience inépuisable, ils ne dédaignent pas les plus minces profits, si bien qu’on les voit laver les minerais aurifères qui ont déjà été exploités par les Européens. Ils pratiquent volontiers toutes les fraudes qui peuvent passer inaperçues, et ils ont la réputation d’être les plus adroits contrebandiers du pays. On prétend aussi qu’ils sophistiquent la poudre d’or qu’ils retirent des mines. En somme, ce sont des êtres passifs, que la colonie européenne ne peut ni ne veut s’assimiler, quoiqu’ils soient peu importuns et peu bruyans. On s’est dit que, si la Chine, contrée énor-