Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/974

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la laine, ceux qui avaient fait fortune en cherchant l’or ou en se livrant à des opérations commerciales, éprouvèrent le louable désir de faire donner à leurs enfans l’instruction qu’ils n’avaient pas eux-mêmes. Dans les villes, les écoles ne manquaient pas; mais dans l’intérieur du pays, les enfans, ne pouvant participer à l’enseignement commun, devaient recevoir l’instruction à la maison paternelle. Or la plupart des colons n’étaient guère propres à remplir ce devoir de famille. Les gouvernantes furent donc indispensables. La Grande-Bretagne pourvut encore aux nouveaux besoins qui se manifestaient. Une société charitable fut instituée en Angleterre pour favoriser l’émigration des femmes instruites. Cette institution s’assurait de l’aptitude que les femmes avaient pour les emplois requis dans la colonie, et leur facilitait le voyage non-seulement par une remise sur le prix du passage, mais encore en veillant à ce qu’elles pussent accomplir sans péril une si longue traversée. On annonçait dernièrement que le secrétaire de cette société, miss Rye, venait de s’embarquer accompagnée de cent jeunes filles de diverses conditions destinées aux nouveaux établissemens de la Nouvelle-Zélande. Elle se proposait de passer à son retour par Melbourne et Sydney, afin de s’assurer par elle-même du nombre d’émigrantes qu’on pouvait diriger en ce moment sur chaque province du continent.

Telle est cette singulière traite des blanches, qui n’a cessé d’être inspirée par les sentimens les plus honorables et les plus désintéressés, et qui a su conduire jusqu’aux antipodes, en parfaite sécurité, des milliers de jeunes filles confiées à ses soins. On ne sait ce que l’on doit le plus admirer du dévouement qui inspire de tels actes ou de l’esprit pratique d’un peuple qui sait pourvoir à ses besoins les plus divers. Les Australiens, de même que les fondateurs de Rome, se sont trouvés dépourvus d’épouses; mais entre l’enlèvement des Sabines et l’émigration volontaire des femmes de la Grande-Bretagne il y a toute l’épaisseur de la civilisation moderne. L’Angleterre, toujours commerçante, a très habilement appliqué les principes du commerce au recrutement de ses colonies. Suivant les demandes qu’elle en recevait, elle leur a expédié des ouvriers d’abord, puis des servantes, puis des femmes d’une classe plus élevée. Pour éviter le retour des désordres qui accompagnèrent au début ce grand mouvement de personnes, des sociétés charitables, s’instituant de leur autorité privée, secoururent les émigrans de leurs fonds et de leur influence. Après avoir infecté le continent austral de ses condamnés les plus criminels, la métropole a reconnu la faute qu’elle commettait; elle lui donne aujourd’hui ses meilleurs enfans, pauvres ou riches, mais tous honnêtes et entreprenans. Il ne fallait pas moins que le concours de tous ces efforts pour rétablir l’ordre