Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/966

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gers, des maçons, des charpentiers ou des laboureurs, suivant les besoins et les facultés de chacun ; mais ils étaient presque tous accaparés par les gros propriétaires de l’intérieur, qui s’en faisaient donner trente et quarante à la fois, au détriment des petits cultivateurs, qui avaient peine à en obtenir. Tous ces condamnés étaient d’ailleurs traités avec une extrême sévérité, souvent avec barbarie : les moindres infractions étaient punies par le fouet, que les principaux colons, magistrats de leur district, avaient le droit de leur infliger. Ceux qui les employaient ne pensaient guère à les ramener au bien, et le gouvernement local ne semblait pas s’en préoccuper davantage : le règlement ne parlait que de la durée du travail journalier que ces hommes devaient accomplir, de la quantité de nourriture qui leur était due et des vêtemens auxquels ils avaient droit. On n’avait même pas le soin de les diviser en catégories suivant leur degré de culpabilité et la nature des crimes qui les avaient amenés dans la colonie. Commettaient-ils quelque nouveau méfait, on les expédiait à l’île de Norfolk, où s’entassait la lie de cette société criminelle. Beaucoup d’entre eux, poussés au désespoir par les mauvais traitemens ou entraînés par des instincts sauvages, se réfugiaient dans le désert. Perdus dans les montagnes, ils périssaient misérablement de faim, ou bien ils devenaient batteurs de buissons (bushrangers), attaquant les maisons isolées, infestant les routes, et sans autre perspective que d’être pendus aussitôt qu’ils étaient pris. La statistique judiciaire du temps fait voir combien l’état moral était déplorable. En deux années, 1826 et 1827, il y eut cent trois condamnations à mort dans la Nouvelle-Galles du Sud sur une population d’à peu près 30,000 âmes. Les historiens de la colonie racontent avec complaisance les aventures de certains de ces déportés dont la corruption dépassait tout ce qu’on peut imaginer. Il est inutile de s’appesantir sur de telles existences : l’histoire des criminels célèbres, dénuée d’enseignemens, ne satisfait, en dehors de l’intérêt juridique, qu’une curiosité malsaine.

Tant s’en fallait cependant que tous les déportés persistassent dans leurs habitudes de dépravation ; beaucoup d’entre eux manifestaient un repentir sincère. Celui qui avait achevé le temps de sa détention sans encourir de nouveaux châtimens, ou bien qui avait mérité par sa bonne conduite une remise sur la durée de sa peine, devenait libre et était nommé emancipist. Obligé de résider dans le pays, à moins qu’une décision spéciale n’eût autorisé son rapatriement immédiat, il obtenait une concession de terre, travaillait pour son propre compte et pouvait acquérir l’aisance ou la richesse. Quand on se rappelle que ces hommes avaient tous été condamnés pour crime, on serait tenté de croire qu’il leur était presque toujours im-