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à signaler dans cette théorie la plus flagrante des contradictions?

Non. Le principe pensant se sait immatériel : il l’est donc. Puisque c’est là une question de fait, elle est résolue directement par l’expérience. Le raisonnement n’a pas à intervenir. « L’induction n’a que faire, dit M. Jouffroy, là où l’observation s’applique immédiatement. » Pendant un temps, la science psychologique a cru et enseigné que nous ne connaissons de l’âme que ses facultés, et point sa nature. Reid, le trop sage Reid, disait que nous avons une idée nette des attributs de l’esprit, et particulièrement de ses opérations, mais que nous n’avons de l’esprit lui-même qu’une notion obscure. M. Cousin a fortement démontré ce qu’ont d’excessif et d’inférieur aux attestations du simple sens commun ces timidités de l’école écossaise. M. Jouffroy n’a voulu partager ces timidités que provisoirement dans la préface que nous avons citée, et plus tard, mûri par le temps et enhardi par les progrès de sa pensée, il a proclamé que la conscience nous donne à la fois nos actes, nos facultés et l’âme, sujet de nos facultés et cause de nos actes. Tous les disciples des deux maîtres les imitent aujourd’hui. Comme eux, ils tiennent pour évidente la spiritualité de l’âme; ils ne la démontrent plus. Et ainsi font les nouveaux psychologues dont nous avons plus haut examiné certaines théories; ils parlent de l’immatérialité de l’âme comme d’un fait indiscutable et incontestable. Est-ce donc à dire que l’école spiritualiste impose cette vérité à titre de dogme? On le dit, mais on se trompe. Le psychologue ne prouve plus l’âme et son indivisibilité par voie de déduction, mais il prend soin d’en exciter le sentiment chez les autres, en décrivant avec une minutieuse exactitude les phénomènes sous lesquels l’âme indivisible apparaît aussi clairement que les cailloux sous les eaux d’un ruisseau limpide. Quand ce sentiment a acquis toute sa force, il engendre une certitude sur laquelle ni les raisonnemens ni les objections ne sauraient plus avoir aucune prise. Quoi qu’en pense M. Scherer, M. le duc de Broglie a eu raison de dire, dans son beau travail sur l’Existence de l’Ame[1], que le cerveau est ici-bas la condition de l’exercice de la pensée, et que toutefois le sujet de la pensée n’est pas identique à la substance du cerveau. Pourquoi? Parce que la conscience ne permet d’aucune façon que le cerveau, qui est matière, soit confondu avec un principe indivisible. Mais il y a plus, et nous prions que l’on veuille bien noter la réflexion suivante. Supposez que la physiologie, la chimie, ou telle autre science que ce soit, réussisse à prouver, comme on prouve un théorème de géo-

  1. Voyez, sur les Écrits et Discours de M. le duc de Broglie, une étude de M. Léonce de Lavergne dans la Revue du 15 novembre 1863.