Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/954

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les sens et eût discuté lui-même les objections qu’elle soulève. Sa conception hardie ne peut-elle pas provoquer de justes critiques? La plus grave et la seule qu’on veuille indiquer ici, c’est que l’idée de l’imprescience volontaire déplace la difficulté, mais ne la résout pas. En effet, si Dieu ne prévoit plus nos actes, ces actes cessent, — je ne dis pas d’être déterminés, car nul ne sait si la prescience les rend tels, — mais de paraître nécessaires. Ainsi, dans l’hypothèse proposée, l’apparence de la fatalité est écartée, et c’est toujours cela de gagné. Toutefois, ce pas franchi, un problème ou plutôt un mystère arrête la pensée : comment l’infini, quand il se limite, demeure-t-il infini? Comment la perfection, qui se rend imparfaite, demeure-t-elle perfection? On répondra peut-être que l’intelligence infinie qui s’impose l’imprescience reste aussi bien infinie que la puissance sans bornes qui crée des causes secondes et des puissances finies, et semble s’ôter la puissance qu’elle donne; mais cette réponse n’en est point une, puisqu’elle reproduit la difficulté sous une autre forme. Mystère pour mystère, je m’en tiens au premier, à celui qui me voile la nature de la prescience divine. La liberté en est-elle moins évidente? Nullement. « Rien ne démontre, a dit profondément M. Jouffroy dans son Cours de droit naturel, rien ne démontre que la prévision divine procède comme la nôtre, et comme ce ne serait qu’autant qu’il en serait ainsi qu’il y aurait contradiction entre le fait de liberté et la prévision divine, il reste vrai et démontré que nul n’a le droit d’affirmer que cette contradiction existe, et que par conséquent la raison humaine soit tenue de choisir entre l’une et l’autre. » Au fond, cette objection célèbre n’en est pas une. Il n’est donc pas nécessaire, pour la résoudre, d’imaginer des limites à l’infinie intelligence, ces limites fussent-elles l’œuvre de Dieu lui-même. Ainsi rien n’oblige à invoquer l’hypothèse de M. Destrem et à augmenter le nombre des mystères. Cette hardie tentative n’aura pourtant pas été complètement infructueuse ; elle aura montré une fois de plus que lorsqu’un esprit ferme a cherché la liberté là où elle est et l’a regardée avec les yeux qui la voient, il y croit désormais avec une telle certitude que, plutôt que d’en douter, il aime mieux modifier les conséquences trop timides ou trop hardies qu’il avait tirées jusque-là des idées, d’ailleurs certaines, de sa raison sur la Divinité et la Providence.

Ainsi les récentes doctrines, qu’elles soient contraires ou favorables au spiritualisme, n’ont pas entamé et ont, en plusieurs points, confirmé les résultats antérieurement admis sur la vie sensible et sur la vie active de l’esprit. Il serait trop long de rechercher ici ce que ces mêmes théories enseignent touchant notre vie rationnelle. Pour cette fois, nous ne poserons plus qu’une question aux nouveaux