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tutions qui nous régissent, et notre pensée n’en dépasse point le cercle. Nous savons (comment l’ignorer?) que pour qu’une direction nouvelle soit salutairement imprimée à nos affaires, pour que d’utiles réformes soient introduites dans notre organisation politique, pour que le mouvement des esprits se continue sans secousse et que les dissidences ne deviennent pas des collisions, il suffirait de persuader une seule intelligence, de déterminer une seule volonté. Placé si loin de cette intelligence, de cette volonté souveraine, nous paraîtrions présomptueux, presque téméraire, d’aspirer à nous en faire entendre; mais ne peut-il pas s’élever du sein de tant d’opinions moins suspectes une voix respectueuse, flatteuse même, mais libre et sensée, qui sache exprimer les pensées que voici : « Après des jours de tempêtes, le trouble général des idées, des intérêts, des passions, a fait prévaloir sur toute autre nécessité la nécessité de l’ordre. L’établissement d’un pouvoir qui prétendît surtout à la force est devenu possible. Il s’est établi par la dictature, et grâce à l’entraînement d’une idée dominante, grâce à la popularité d’un grand nom, le suffrage démocratique a donné un titre et ouvert un champ à un gouvernement dont la création pendant près de quarante années aurait paru la plus chimérique des tentatives. Ce gouvernement s’est affermi par la tranquillité et la prospérité publiques, par la guerre et la victoire; démentant de sombres prédictions, il a su faire halte dans la guerre comme il avait su ne pas s’endormir dans la paix. Il lui reste à donner le même exemple dans la politique intérieure, l’exemple de s’arrêter quand il le faut, d’éviter les extrémités et de changer à temps. »

Voilà ce que d’autres auraient droit de dire au prince lui-même. Il nous convient à nous, spectateur indépendant, exempt de ressentiment comme de gratitude, de tenir un langage plus froid et plus général. Depuis le commencement de la révolution française, la faute des gouvernemens a été plus d’une fois de méconnaître les signes des temps, de persister sans opportunité et de s’obstiner à outrance dans les maximes et les procédés qui, après avoir eu leur jour, commençaient à perdre la mesure et l’à-propos. Toujours esclaves de leurs antécédens, dupes d’une seule idée, abusant de leur principe, exagérant leur manière, ils ont tous, Louis XVI comme Napoléon, la Convention comme Charles X, pensé follement que ce qui avait été bon, tolérable ou possible un temps l’était à jamais, que rien ne s’usait de ce qui avait réussi, qu’on pouvait accroître et prolonger sans terme la tension de la même corde, et compter sur l’uniformité invariable des circonstances et des opinions. Vingt naufrages ont signalé cet écueil, et plus d’un navire peut s’y briser encore. Tout pouvoir, quel qu’il soit, est placé dans le cou-