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européen? Le moment où un autre et dangereux rapprochement s’opérait entre trois grandes puissances continentales. Les faits nous montraient l’Autriche et la Russie suspectes de duplicité, l’une dans l’affaire de la Pologne, l’autre dans l’affaire du Danemark. Leurs dissentimens récens étaient oubliés, ajournés. On revenait peu à peu à cette politique unitaire dont la sainte-alliance a été la plus haute expression. Elle a en effet reparu, cette vieille tendance de l’Europe à isoler la France. On a tout au moins coalisé contre elle des défiances qui se trahissent plus qu’elles ne s’avouent. Nous revenons à cette situation bien connue, où le cercle européen se ferme et laisse en dehors la France et l’Angleterre, qui s’affaiblissent aussitôt, si elles ne s’entendent pas. Cette situation, on l’empêchait de se produire ou du moins on en annulait en partie les effets, si l’Angleterre et la France avaient posé une main ferme sur le timon de l’Europe. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait? Encore une fois, les risques ont paru plus grands que les avantages, et l’on a cédé à une influence à laquelle il est rarement sage et facile de se dérober. C’est celle dont nous tenions à constater l’existence et la force : c’est l’influence de l’opinion générale, c’est celle de l’esprit pacifique, c’est le vent qui souffle dans les deux pays.

En France, non-seulement tous les intérêts, mais tous les partis veulent la paix, au premier rang les amis les plus éprouvés du gouvernement. Partisans exclusifs des idées d’ordre, de prospérité, de stabilité, ils ne l’ont jamais vu sans inquiétude s’embarquer dans les entreprises extérieures, et, convaincus qu’il en a assez fait pour établir sa liberté d’action, ils ne lui demandent que de répondre à leur confiance et à la défiance de ses adversaires par des preuves chaque jour répétées de sagesse et de modération. Jamais pour eux il ne montrera trop de prudence. Quant à ceux qui n’ont pas tout approuvé depuis douze ans, à ceux qui souhaitent que la politique se modifie, ils ne peuvent attendre que de la tranquillité générale les progrès de l’esprit public et le perfectionnement des institutions. La nation est unanime dans ses vœux pour la paix durable. Elle aime à voir son gouvernement renoncer aux chances d’un hasardeux agrandissement, et puisque le cours des événemens le ramène à une situation presque normale pour nous, une Europe continentale absolutiste de tendance, réactionnaire par goût, en face d’une France soupçonnée de représenter sous toutes ses formes la révolution perturbatrice, qu’au moins notre pays soit en effet le représentant de la civilisation libérale. Et nous dirons au gouvernement : Vous voilà seul ; que votre première alliée soit la liberté publique. Reformez dans l’Occident, avec l’Angleterre, avec l’Italie, l’alliance des états libres; mais pour cela commencez vous-même par en être un.