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sincère sans être naïve, naturelle en paraissant toujours prendre une attitude et se regarder dans son miroir, simple avec affectation et ayant peut-être, selon le mot piquant de Fontanes, « l’art nécessaire pour faire croire que tout chez elle était l’ouvrage de la nature. » Mme Roland réunit tous ces contrastes dans une physionomie où l’héroïsme et la séduction sont restés les traits dominans. Quant à sa personne physique, image sous plus d’un rapport de sa personne morale, elle l’a dépeinte elle-même dans ce portrait où elle ne néglige rien et où elle se représente telle qu’elle était encore à trente-cinq ans :


« A quatorze ans comme aujourd’hui (dit-elle), ma taille avait acquis toute sa croissance. La jambe bien faite, le pied bien posé, les hanches très relevées, la poitrine large et superbement meublée, les épaules effacées, l’attitude ferme et gracieuse, la marche rapide et légère, voilà pour le premier coup d’œil. Ma figure n’avait rien de frappant qu’une grande fraîcheur, beaucoup de douceur et d’expression. A détailler chacun des traits, on peut se demander où donc en est la beauté. Aucun n’est régulier, tous plaisent; la bouche est un peu grande, on en voit mille de plus jolies, pas une n’a le sourire plus tendre et plus séducteur. L’œil au contraire n’est pas fort grand, son iris est d’un gris châtain; mais, placé à fleur de tête, le regard ouvert, franc, vif et doux, couronné d’un sourcil brun comme les cheveux, il varie dans son expression comme l’âme affectueuse dont il peint les mouvemens; sérieux et fier, il étonne quelquefois, mais il caresse bien davantage et réveille toujours. Le nez me faisait quelque peine, je le trouvais un peu gros par le bout; cependant, considéré dans l’ensemble et surtout vu de profil, il ne gâtait rien au reste. Le front large, nu, peu couvert à cet âge, soutenu par l’orbite très élevée de l’œil, et sur le milieu duquel les veines s’épanouissaient à l’émotion la plus légère, était loin de l’insignifiance qu’on lui trouve sur tant de visages. Quant au menton, assez retroussé, il a précisément les caractères que les physionomistes indiquent pour ceux de la volupté. Lorsque je les rapproche de tout ce qui m’est particulier, je doute que jamais personne fût plus faite pour elle et l’ait moins goûtée. Le teint vif plutôt que très blanc, des couleurs éclatantes fréquemment renforcées de la subite rougeur d’un sang bouillant, la peau douce, le bras arrondi, la main agréable sans être petite, des dents fraîches et bien rangées, l’embonpoint d’une santé parfaite : tels sont les trésors que la nature m’avait donnés... « 


Ainsi elle apparaît. C’est la jeune bourgeoise qui s’avance avec ses séductions nouvelles et l’éclat d’un sang vigoureux. Il y a longtemps que, sous des noms différens, elle est en marche à travers l’histoire pour prendre son rang dans la société française, et jusque-là elle n’a pu y pénétrer, elle n’a pu arriver à l’influence et au pouvoir qu’en se transformant elle-même, en se dénaturant en quelque sorte, en dépouillant son caractère pour se métamorphoser