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à la promenade. » C’est dans ce milieu que grandit cette jeune fille qui aime l’air et l’espace, les fleurs et les livres, qui aime aussi la toilette, et le dimanche, à la promenade, dans sa mise simplement élégante rehaussée par le maintien, ne déteste pas d’entendre dire autour d’elle qu’elle ressemble à une dame sortant d’un équipage, mais qui en même temps dans la semaine, en fourreau de toile, va fort bien au marché voisin acheter du persil et de la salade. Non-seulement Mme Roland ne le cache pas, elle se plaît au contraire à mettre en relief ce côté pratique, cette aptitude de ménagère, et c’est elle qui, résumant ses petites perfections, dit dans ses Mémoires : « Cette enfant qui lisait des ouvrages sérieux, expliquait les cercles de la sphère céleste, maniait le crayon et le burin et se trouvait à huit ans la meilleure danseuse d’une assemblée de jeunes personnes au-dessus de son âge, cette enfant était souvent appelée à la cuisine pour y faire une omelette, éplucher des herbes ou écumer le pot... » Notez cependant ce dernier trait où se révèle la femme qui s’est de bonne heure formé un idéal, qui se sent faite pour gouverner plus que son ménage ou pour régner par d’autres séductions : « Je saurais faire ma soupe aussi lestement que Philopœmen coupait du bois, mais personne n’imaginerait en me voyant que ce fût un soin dont il convient de me charger... » Dans cette carrière doucement monotone et obscurément active d’une petite bourgeoise d’autrefois, la première communion est un grand événement. A onze ans, Marie Phlipon s’y prépare avec un zèle que les lectures n’ont pas encore refroidi, qui va un instant jusqu’à une velléité de vocation religieuse, et la voilà entrant au couvent chez les dames de la congrégation de la rue Neuve-Saint-Étienne, où elle passe une année. Ici c’est déjà presque la vie qui commence. C’est dans la maison du faubourg Saint-Marcel que se forme pour elle un de ces liens de première amitié qui se prolongent, en se relâchant quelquefois et sans se rompre jamais, à travers toutes les vicissitudes; c’est là qu’elle rencontre ces deux demoiselles venues d’Amiens, Sophie et Henriette Cannet, avec qui elle entretiendra une correspondance de jeune fille, devenue à l’origine de son goût pour écrire, » et dont l’une, Henriette, viendra la revoir à sa dernière heure, dans cette prison de Sainte-Pélagie, toute voisine du couvent où elles ont vécu ensemble insouciantes et heureuses.

Le couvent est la première étape de Marie Phlipon hors de la maison paternelle; la seconde étape est l’île Saint-Louis avec sa physionomie provinciale, avec ses rues solitaires et calmes et ses quais tranquilles d’où on peut voir la campagne, — l’île Saint-Louis où elle va passer une année nouvelle dans cet autre intérieur de famille, entre sa grand’mère Phlipon, l’aimable vieille, gaie, soignée