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même temps, comme pour dire à la fois le dernier mot des sentimens les plus secrets d’une âme prête à s’exhaler.

Mme Roland s’était déjà laissé entrevoir dans toutes ses lettres qu’on connaît aux demoiselles Cannet d’Amiens, à Bosc, à Bancal des Issarts; ces dernières révélations achèvent de la peindre, de la replacer dans son jour naturel, et c’est précisément le mérite de toutes ces publications qui se sont multipliées depuis quelque temps, qui ont fait revivre tour à tour quelques-uns des personnages révolutionnaires les plus fameux, de mettre en relief les côtés vrais, humains, de cette époque à la fois grandiose et sinistre. Elles précisent les traits et les rectifient en les dégageant de la confusion des philosophies nuageuses ou des apologies et des accusations intéressées. Elles montrent dans Mirabeau, à côté du tribun, le dernier-né d’une famille violente, mélange prodigieux de corruption et d’élans superbes, de passions grondantes et de raison pratique, d’intempérance et de génie, — dans cette vaillante légion de la gironde, des hommes d’instinct, d’imagination et d’éloquence, élite généreuse d’une société nouvelle, — dans Mme Roland, à côté de la Romaine stoïque, la femme portant jusque dans le feu du combat la blessure sacrée, mêlant à la flamme patriotique la flamme intérieure d’un sentiment caché, — dans la révolution tout entière enfin, une œuvre, non de titans, mais d’hommes poussés tout à coup sûr une scène où éclatent à la fois toutes les vertus et tous les vices, toutes les iniquités et tous les héroïsmes.

Vous souvenez-vous de ce fragment, de cette fiction d’une simplicité saisissante qui a gardé le nom de la prophétie de Cazotte? On est en 1788, chez un académicien grand seigneur, dans un repas entre gens de cour, gens de robe, dames du plus haut monde, écrivains, philosophes. La gaîté et l’esprit animent le festin. Chamfort fit des contes impies et libertins sans que les femmes se voilent de l’éventail, et on pérore sur le règne de la raison, sur la révolution prochaine. Un seul convive, Cazotte, reste muet avec un air de tristesse à demi railleuse. C’est que de son regard d’illuminé il voit tous ces fronts dévoués à une mort violente. On l’interroge, et à chacun il dit son mot au milieu des rires d’incrédulité. « Vous, monsieur de Condorcet, vous expirerez sur le pavé d’un cachot après avoir pris du poison pour vous dérober au bourreau. — Vous, monsieur de Chamfort, vous vous ouvrirez les veines. » Tous y passent, Bailly, Malesherbes, Boucher, Vicq-d’Azir. « Mais les femmes! dit la duchesse de Gramont, nous sommes bien heureuses, nous autres, de n’être pour rien dans les révolutions. Ce n’est pas que nous ne nous en mêlions toujours un peu; mais il est reçu qu’on ne s’en prend pas à nous. — Vous y serez cette fois, reprend Cazotte, et