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gleterre et la Hollande. L’Autriche ne prit part aux négociations que le 23 mai. Maurice avait eu raison de dire : La paix est dans Maëstricht. On sait que la pacification définitive fut signée seulement le 18 octobre 1748 au congrès d’Aix-la-Chapelle ; on sait aussi combien les conditions de ce traité excitèrent en France un mécontentement unanime. Louis XV, voulant traiter non en marchand, mais en roi, avait ordonné à son plénipotentiaire de restituer toutes ses conquêtes. Quels que fussent alors le dépérissement du pays, la ruine de nos finances, la misère et la dépopulation des provinces, l’opinion publique eût préféré la continuation de la guerre à un résultat si honteux[1]. Les grands mots ne masquent point les petites choses ; ce n’était pas agir en roi que de rechercher la paix avec cette impatience pusillanime et de s’humilier pour l’obtenir. Maurice de Saxe, sans se piquer de rien entendre à la politique, était donc parfaitement d’accord avec le sentiment national quand il écrivait le 15 mai 1748 au comte de Maurepas :


« Je ne suis qu’un bavard en fait de politique, et si la partie militaire m’oblige quelquefois d’en parler, je ne vous donne pas mes opinions pour bien bonnes. Ce que je crois savoir et vous assurer est que les ennemis, en quelque nombre qu’ils viennent, ne peuvent plus pénétrer en ce pays-ci, et qu’il me fâche de le rendre, car c’est en vérité un bon morceau, et nous nous en repentirons dès que nous aurons oublié notre mal présent. Je n’entends rien à la finance et ne connais pas nos moyens ; ce que je sais est que l’argent en Angleterre n’était à la fin de la grande guerre qu’à 4 pour 100, et qu’il était ces jours passés à 14 et à 15 pour 100, de quoi il n’y a point d’exemple. Et comme le crédit est la seule chose qui soutient les Anglais et les Hollandais, je conclus qu’ils sont à bas et qu’ils n’en peuvent plus. Ce n’est pas comme chez nous ; nous avons une force intrinsèque, et, quoique l’argent nous manque, nous allons encore longtemps, et je crois que ce n’est pas faire un mauvais marché que de se mettre mal à son aise pour acquérir une province comme celle-ci, qui vous donne des ports magnifiques, des millions d’hommes, une barrière impénétrable et de petite garde. Telles sont mes pensées ; au demeurant, je ne connais rien à votre diable de politique. Je vois, je sais que le roi de Prusse a pris la Silésie et qu’il l’a gardée, et je voudrais que nous puissions faire de même. Au bout du compte, il n’est pas si fort que nous, il est beaucoup plus mal posté, on peut le prendre par les pieds et par la tête, et il a de furieux voisins qui ne l’aiment assurément pas plus que nous. Nous n’avons rien

  1. « Le Français désirait la paix, et ses misères devaient allumer ce désir ;… mais le Français aime la gloire et l’honneur, de sorte qu’après les premiers momens de joie de la paix conclue, tout le public est tombé dans la consternation de la médiocrité des conditions. Tandis qu’à Londres et dans les principales villes des royaumes britanniques on fait des réjouissances éclatantes et tumultueuses, à Paris et dans les provinces on s’en est consterné. « Quoi ! dit-on, nous rendons toutes nos conquêtes ! » — Journal et mémoires du marquis d’Argenson, t. V, p. 277, Paris 1863.