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avis : on ne concerte pas de telles choses avec un souverain. C’est l’enthousiasme des spectateurs qui a inspiré le mouvement de l’actrice. Ce public parisien du XVIIIe siècle, bien que desséché par l’abus de l’esprit et corrompu par les exemples d’en haut, c’était le cœur de la France après tout, un cœur toujours plein de sève et qui s’enflammait à la moindre étincelle, jusqu’à l’heure où, ranimé par les tribuns de la pensée, par Jean-Jacques, Voltaire, Turgot, Mirabeau et tant d’autres, il prendra feu tout entier, non plus seulement pour une campagne heureuse, mais pour la plus grande de toutes les causes, l’humanité même et l’éternelle justice.


II.

Maurice, après ses ovations parisiennes, était allé prendre possession de son château de Chambord, dont l’ameublement venait d’être renouvelé avec magnificence par les ordres du roi ; il y passa deux semaines et repartit le 15 avril pour le théâtre de la guerre. Quelques jours après, le 26 avril, le roi lui faisait expédier des lettres de naturalité, curieux document qui n’atteste pas seulement la reconnaissance de Louis XV, mais qui, rapproché de certains faits contemporains et des dépêches du comte Loss, nous révèle déjà les luttes de cour où le maréchal va se trouver engagé. Maurice, qui se sentait entouré d’embûches, et qui en toute occasion marchait droit à l’ennemi, ne se faisait pas faute de dire à Louis XV : « Je suis heureux de servir la France, j’ai renoncé pour elle à mes chances de fortune en Pologne et en Saxe ; mais le jour où les envieux m’auront enlevé la confiance du roi, pense-t-on qu’il y ait un pays en Europe qui refuse le secours de mon épée ? » Louis XV semble répondre à la fois et aux attaques des courtisans et aux menaces de Maurice quand il écrit ces mots dans le préambule des lettres qui confèrent au fils du roi Auguste la qualité de Français :


« Nous ne pouvons trop marquer la satisfaction que nous ressentons du zèle et de l’attachement singulier que notre très cher et bien aimé cousin le maréchal de Saxe a fait paraître pour notre personne et pour notre couronne, en abandonnant les avantages et les grands établissemens qu’il pouvait espérer en Pologne et en Saxe, pour venir en France servir dans nos armées. La supériorité de son génie, l’étendue de ses connaissances dans l’art de la guerre, le courage et l’intrépidité qu’il a fait paraître dans les grades militaires et dans le commandement de nos troupes, la capacité et l’expérience qu’il y a acquises, nous ont engagé à le décorer de la dignité de maréchal de France et à lui confier, sous nos ordres, pendant les deux dernières campagnes, le commandement de nos armées en Flandre. C’est principalement à cette capacité et à la sagesse de ses conseils que