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moyen de nombreuses reconnaissances opérées sur les divers points menacés, le danger pourrait être signalé à temps.

Le général Lee réussit d’une manière étonnante à garder le secret de ses opérations militaires. Tout à coup, dans la journée du 13 juin, le général Milroy, qui occupait avec 7,000 fédéraux la petite ville de Winchester, dans la vallée de la Shenandoah, apprit avec stupeur qu’il était complètement entouré par les 50,000 hommes d’Ewell et de Longstreet, et que bientôt il allait avoir à lutter contre l’armée tout entière du général Lee. La position était critique, mais elle n’était pas désespérée. Les unionistes se défendirent avec succès pendant deux jours, dans la ferme croyance que l’armée du général Hooker n’était point très éloignée et viendrait bientôt les délivrer ; mais, voyant grossir incessamment le nombre de leurs ennemis, ils évacuèrent leurs retranchemens pendant la nuit en faisant le sacrifice de leurs pièces et de leurs munitions, et, marchant presque au hasard dans l’obscurité, vinrent se heurter contre la division confédérée du général Johnson, forte de 10,000 hommes. Le désordre fut grand, et les fédéraux dispersés s’enfuirent dans toutes les directions. Les uns, traversant une chaîne de collines à l’est du champ de bataille, atteignirent Charleston et Harper’s-Ferry ; d’autres, prenant la direction du nord, se rendirent à Martinsburg, d’autres encore se jetèrent dans les montagnes pour gagner Hancock sur les frontières de la Pensylvanie. La débandade fut complète, puisque de Hancock à Harper’s-Ferry la distance n’est pas moindre de 70 kilomètres; mais les pertes furent légères. Quelques centaines d’hommes seulement furent faits prisonniers, et tous les soldats épars rejoignirent le drapeau.

En dépit de ce dénoûment presque ridicule, le siège et les divers combats de Winchester eurent néanmoins un heureux résultat pour la cause fédérale, car, tout en retardant de deux ou trois jours la marche du général Lee, ils donnèrent en partie le secret de ses opérations, et montrèrent à l’armée du Potomac la route qu’elle avait à suivre. Il devenait évident que le but des confédérés était de renouveler l’invasion du Maryland avec toutes les forces dont ils pourraient disposer, afin de frapper un grand coup sur Washington ou Baltimore et de relever leur cause par une victoire signalée. Pour masquer sa prochaine impuissance, le gouvernement des rebelles tâchait de combiner dans un suprême effort tout ce qu’il avait de ruse, d’audace et de ressources militaires ; il prenait énergiquement l’offensive pour infliger à l’ennemi un terrible désastre qui lui permit à lui-même de réparer ses pertes matérielles, de déplacer le théâtre de la guerre, de jeter le désarroi dans les états du nord, et de forcer, pour ainsi dire, les puissances de l’Europe occidentale à recevoir la confédération esclavagiste au nombre des