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trahissait les montagnes du littoral toscan. On voyait mieux la tour de Cerboli et le phare de Palmajola, qui semblaient surgir du sein de l’onde. Sur le rivage, la tour des Espagnols, encore debout, marquait la limite de la rade, et un peu plus loin, sur la mer, un écueil détaché de la terre ferme semblait indiquer à l’ingénieur un second point de repère pour les fondations d’une jetée.

Les navires, ancrés au large, attendaient leur tour de chargement. Plus heureux que ses voisins, un gros brick marseillais, la Bonne-Juliette, uni par une planche branlante à l’extrémité du pont-embarcadère, recevait dans ses flancs le minerai en roche et en menu. Le capitaine allait et venait, songeant au moment désiré du départ, tandis qu’une nuée de porteurs, courant chargés le long du pont, vidaient tour à tour leurs corbeilles à fond de cale. Rougis par la poussière ferrugineuse, à peine vêtus, les pieds nus, la couffe sur l’épaule[1], ils s’excitaient au travail en criant. Ainsi devait s’agiter l’essaim des fellahs pharaoniques quand ils bâtissaient les pyramides, portant des pierres sur le dos. Au bord de l’eau, devant une montagne de minerai qui eût suffi à charger toute une flotte, étaient les ateliers de fouille et de pesage. Là se tenait le capitan di gita, personnage officiel qui depuis l’époque des Pisans commande la phalange des porteurs. Les balances, les poids, il y a encore quelques années, étaient les mêmes qu’au temps de la république de Pise, et les Médicis, les grands-ducs de la maison de Lorraine, avaient tour à tour conservé avec un religieux respect ces vénérables reliques. Une longue file d’ânes chargés de corbeilles pleines de minerai descendaient par les contours sinueux de la montagne, conduits par des gamins qui trouvaient commode au retour de se faire remonter par leurs bêtes. Tel est l’aspect animé que présente pendant les beaux jours de l’été Rio-Marina, vue de la mer ou de la plage, et longtemps j’admirai l’un après l’autre tous les détails de ce curieux tableau, que l’on chercherait vainement ailleurs.

Les ouvriers employés à l’extraction et au transport du minerai sont presque tous enfans du pays. Les gens de Rio qui demeurent dans un village perché sur la montagne, Rio-Alto, exploitent les gites de Rio-Marina, Vigneria et Rio-Albano ; ceux de Porto-Longone, les mines de Terra-Nera ; ceux de Capoliberi, les gisemens de Calamita. Tous ces ouvriers sont payés à prix fait, rarement à la journée. Dans les deux cas, ils sont contens quand leur salaire atteint 1 franc 50 centimes ou 2 francs par jour. Les moins compromis parmi les brigands des Abruzzes et des Calabres, les manuten- goli

  1. C’est une petite corbeille ronde d’osier à quatre anses où l’on met le minerai. Elle contient moyennement 30 kilogrammes. Les hommes en portent deux, les jeunes garçons une.