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gemmes. C’est dans les flancs de ce granit, au milieu de géodes profondes que le pic et même la mine peuvent seulement découvrir, que se rencontrent les plus beaux cristaux. Là gisent les tourmalines rayées, roses, jaunes, noires ou incolores, les aigues-marines et les émeraudes en prismes transparens bleus et verts, le quartz (cristal de roche), limpide ou compacte, aux pointemens aigus à six faces, l’épidote aux cristaux bacillaires vert olive, le mica hexagonal à l’éclat chatoyant, le grenat dodécaèdre rouge ou brûlé, enfin le Castor et le Pollux, qui cristallisent fraternellement ensemble[1]. Tous ces jolis minéraux, joyaux de la nature, sont employés pour la plupart dans la bijouterie. On trouve communément dans les granits le feldspath orthose en gros prismes et l’albite aux cristaux hémitrophes, tout cela au grand contentement des amateurs de cailloux, chercheurs infatigables, venus de loin, et que les gisemens gemmifères de Campo dédommagent amplement de leurs peines. L’île d’Elbe, comme on l’a dit avec raison, est un vrai cabinet de minéralogie. Les filons métallifères proprement dits s’y rencontrent même, et l’on a découvert la galène ou sulfure de plomb argentifère à l’isola de’ Toppi, l’île aux rats, tout près de Capo-Castello, l’antimoine sulfuré à Procchio, le cuivre natif, le cuivre carbonate (malachite), et le cuivre pyriteux à Pomonte et à Santa-Lucia.

Un guide, un parfait cicerone, comme l’Italie en produit quelquefois, accompagne d’ordinaire les explorateurs dans leurs excursions. C’est Pietro Pinotti, dit Cervello-Fine, Cerveau-Fin, comme l’appelait un Français naïf, ignorant que de pareils surnoms ne se traduisent pas. Cervello-Fine a installé ses lares à Porto-Ferrajo, Depuis plus de trente-cinq ans, il n’est pas venu à l’île d’Elbe un minéralogiste, un géologue, un ingénieur, un touriste ami des montagnes qui n’ait demandé à cet homme l’aide de ses connaissances locales. L’insulaire a d’abord accompagné l’étranger comme un simple guide ; puis, doué d’un grand esprit d’observation, apte à saisir ce que les autres lui ont montré, Pietro Pinotti, sans même savoir lire, s’est réveillé un jour géologue et minéralogiste. Aussi bien a-t-il été à bonne école, et les Studer, les Fournet, les Burat, les Collegno, les Coquand, les Savi, les Meneghini, les Matteucci, tout ce que

  1. Le Castor est une variété de pétalite (silicate d’alumine et de lithine), qui se trouve aussi en Suède ; mais le Pollux n’existe qu’à l’île d’Elbe, où il est même très rare ; on le paie des prix fabuleux pour les collections. Un petit cristal gros comme la moitié du pouce, qu’on voit à l’École des Mines de Paris, vient d’être payé 300 francs. Le Pollux est en effet unique en son genre : c’est un silicate d’alumine et d’oxyde de cœsium, ce métal inconnu encore il y a deux ans, et dont l’analyse spectrale à seule permis de révéler l’existence.