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et de la préparation au régime représentatif, sans parler de la révolution intellectuelle et politique dont il produit les germes, on trouve, que dans les lettres il enfante un cycle primitif de poésie chevaleresque, que dans la philosophie il mène à terme la grande querelle du nominalisme et du réalisme, que dans la science il crée l’alchimie, et que dans l’art il donne naissance à l’architecture gothique, et, par le déchant, à la nouvelle musique.

En cet essor, qui est si visiblement la suite de la civilisation antique et la préparation de la. civilisation moderne, intervient le XIVe siècle, qui est climatérique pour le moyen âge. Là commence à se briser l’ancienne ordonnance qui soumettait tout le domaine intellectuel et moral à l’église. Le conflit éclate entre la papauté et la royauté, entre Philippe le Bel et Boniface VIII, et dès lors l’élément laïque prend graduellement une indépendance qui n’est pas compatible avec le régime d’une foi théologique : aussi depuis lors dispute-t-il à l’élément ecclésiastique, qui, avait été le principe vital et supérieur de la société du moyen âge, toutes les parties constitutives du savoir, si bien qu’il en est venu à lui disputer même la conception du monde, ce qui est nécessaire, s’il veut devenir à son tour principe d’un ordre social purement humain. Ces graves événemens, outre la lumière qu’ils portent dans la révolution occidentale, éclairent aussi la fonction du moyen âge. Le débat du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel ne pouvait naître dans l’antiquité gréco-latine, qui ne connaissait pas la séparation de ces pouvoirs. À son tour, la pensée de fonder un pouvoir spirituel humain ne pouvait naître qu’après que la pensée du pouvoir spirituel divin eût été pleinement réalisée dans les esprits et dans les choses. C’est ainsi que le moyen âge est un anneau qu’on ne retranche jamais sans rendre inintelligible le cours de l’histoire.

J’ai dit, au commencement de cette étude, que M. Le Clerc s’associait, dans le XIVe siècle, au mouvement laïque qui s’empare de la société, son livre montrant que le trouble et le malaise de ce siècle sont dus non à de vaines agitations anarchiques ou rétrogrades, mais à un instinct de rupture avec le passé. Ceux qui, me lisant, s’étonneront n’ont qu’à repasser en esprit les annales des siècles qui suivirent. Ce sont autant de conclusions échelonnées en faveur des prémisses. Cinq siècles, et un sixième, le nôtre, se détournent graduellement, mais obstinément, du régime théologique et des révélations, et se, portent vers des lumières dont toute la source, toute la force est dans le labeur et le savoir de l’humanité. Est-ce progrès ? est-ce décadence ? Le fait tranche la question : la société aura empiré en science, en politique, en morale, si c’est décadence ; elle aura grandi en science, en politique, en morale, si