Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par exemple la manie de diviser. Qu’ils prêchent le dogme ou la morale, ces preuves échelonnées avec tant d’art, ces catégories si bien rangées, ces distinctions si subtiles, laissent reconnaître en eux les héritiers directs des disputeurs de l’école. Est-ce le caractère propre du genre didactique, est-ce l’habitude invétérée de la controverse, est-ce l’un et l’autre qui font que, chez des orateurs tels que les Bourdaloue, les Massillon, l’œuvre la plus grave de l’éloquence continue de se briser et de s’éparpiller à l’infini en petits points symétriques, en nuances insaisissables, en grains de poussière, en atomes ? S’il faut faire la part du genre, qui ne peut se passer de définir et de diviser, il est permis d’y voir surtout, comme Fénelon, un reste de la scolastique, dont l’empreinte, assez visible, malgré les révolutions, dans notre langue, dans notre barreau, dans notre théâtre, a dû naturellement persister là où règne surtout la tradition, dans l’enseignement religieux. »

Un livre célèbre par son mysticisme naïf et pénétrant, l’Imitation de Jésus-Christ, a été attribué au XIVe siècle. Il convient d’entendre là-dessus les observations de M. Le Clerc : « L’ouvrage nous semble, comme à Suarez, de diverses mains et de divers temps. L’humble langage du premier livre ne saurait être l’œuvre de cet esprit plus familiarisé avec l’antiquité profane, plus vif, plus animé, qui se plaît aux grandes images, aux amples développemens du troisième livre, et ni l’un ni l’autre n’a le moindre rapport avec la théologie savante et subtile dont le quatrième livre est rempli. Le premier et peut-être le second pourraient venir des chartreux du XIIe siècle, et le troisième de quelque moine lettré du siècle suivant. Il n’y aurait point d’invraisemblance à faire descendre le dernier livre jusqu’au XVe siècle : ce n’est qu’alors que, dans les manuscrits, il vient se joindre aux trois premiers. Quant à Gerson, qui ne justifie la préférence qu’on lui a donnée quelquefois ni par son caractère ni par son style, et au copiste Thomas de Kempis, dont les œuvres ne sont guère composées que des écrits des autres, et qui, lorsqu’il cesse de copier, est souvent un auteur fort ridicule, nous engageons leurs partisans à ne pas oublier qu’il y a en France un manuscrit du premier livre antérieur à Gerson et à Thomas de plus d’un siècle. »

Au premier rang des productions littéraires de ce siècle, on mettra sans hésiter les Chroniques de Froissart, qui lui appartient, bien qu’il soit mort dans les premières années du quinzième. Je ne veux rien changer à l’appréciation qu’en a donnée M. Le Clerc : « De ces auteurs de mémoires, un seul est resté populaire, l’ingénieux conteur, le protégé d’une reine, des hauts barons et des nobles dames, qui, par son imagination féconde, la vivacité de sa narration, son style coulant et facile, s’est assuré comme le privilège de se tromper sur les dates, sur les noms de lieux et de personnes, sur le caractère