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dans la Méditerranée, c’est celui des violens orages, plus encore que des tempêtes. Si l’on est moins vigoureusement assailli à cette époque de l’année que durant les premiers mois de l’hiver, on est plus constamment harcelé et menacé. Dans une mer étroite, de ces deux dangers l’un vaut l’autre. La première fois que j’étais revenu du Levant, dans les mois de novembre et de décembre, j’avais suivi le canal de Malte. Cette fois je crus mieux faire en allant chercher le phare de Messine. Je me présentai pour le franchir vers onze heures du soir. Les pilotes qui me mirent dehors avaient fait une excellente journée. Le vent de sud-est avait soufflé, et depuis le matin les navires dépassaient l’un après l’autre les noires aiguilles et le promontoire redouté de Scylla. Le temps cependant ne me paraissait pas sûr ; j’eus un instant l’idée de m’arrêter à Messine, mais les pilotes dissipèrent mes doutes. Tempi ligeri ! c’était tout ce que je pouvais attendre. Fiez-vous aux Siciliens ! J’étais à peine en dehors du phare qu’il me fallut prendre deux ris aux huniers. Arrivé sous Stromboli, j’étais à la cape. On ne peut se laisser dériver ainsi, quand on a sous le vent le golfe de Gioja et celui de Policastro. Les côtes de Calabre sont les plus inhospitalières que l’on puisse rencontrer dans la Méditerranée. Je virai donc de bord et je forçai de voiles, au risque de tout briser, pour regagner la côte de Sicile. Le vent sauta heureusement au nord-ouest, et j’atteignis tout juste la pointe du phare. Je voulais donner dans le canal ; les pilotes s’y opposèrent ; le vent était trop court, la marée contraire. Ils me firent mouiller sur ce banc, qui n’est que le prolongement de la pointe sablonneuse du phare, et qui descend brusquement vers un abîme sans fond. J’y trouvai, je dois le dire, nombreuse compagnie. Tous ces bâtimens, qui étaient sortis, comme moi, du détroit sur la foi des tempi ligeri, avaient dû se hâter de rétrograder ; mais tous n’avaient pas été aussi heureux que la Comète. La plupart louvoyaient péniblement dans le golfe de Gioja et perdaient du terrain à chaque bordée. Je me rappelle encore une large goélette anglaise qui faisait des efforts prodigieux pour sortir de ce tourbillon ; elle arrivait presque à nous toucher, pas d’assez près cependant pour que son ancre pût mordre sur le banc ; sous peine de tomber sur Scylla, il fallait qu’elle poussât une nouvelle bordée au large. J’ai rarement vu montrer plus de courage et d’intelligence ; mais toute cette énergie se dépensait en pure perte. La nuit approchait, et elle menaçait d’être plus venteuse encore que la nuit précédente. Nous ne pouvions penser sans frémir au sort de ces bâtimens affalés sur une côte de fer. Vers dix heures du soir, un effroyable orage, qui s’était formé dans le nord-est, creva tout à coup et amena une saute de vent. À la lueur des éclairs, nous donnâmes dans le phare et trouvâmes