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coup sûr, et qui eurent, aussitôt prononcées, un retentissement immense. Après avoir parlé du nombre effrayant « d’existences catilinaires » en Allemagne et des « frontières défavorables (ungünstige) de la Prusse, » le président du cabinet s’était écrié : « Ce n’est pas par les discours parlementaires et les votes des majorités, mais par le fer et le feu que se résoudront les grandes questions du temps ! » Le fer et le feu ! ou, pour parler un langage moins gothique et moins féodal, de graves complications européennes, une conflagration plus ou moins générale et une bonne guerre nécessairement glorieuse, voilà en effet les moyens qui semblaient les plus propres à débarrasser l’Allemagne des « existences catilinaires, » à en finir avec les discours et les votes des majorités, et peut-être bien aussi à rendre les frontières de la Prusse moins défavorables. » Ces complications, M. de Bismark n’avait cessé de les poursuivre dans tout incident qui surgissait. C’est ainsi qu’il se jeta avec impétuosité dans le conflit hessois et donna au monde le plaisant spectacle d’un ministre faisant avancer ses armées dans un état voisin pour y forcer le prince à la plus stricte observation du régime parlementaire, tout en gouvernant lui-même en dehors de la constitution et au moyen des impôts prélevés contrairement au vote de la chambre. C’est ainsi qu’il prit dès le début une attitude hautaine et provoquante dans la question toujours pendante du Slesvig-Holstein, et ne dédaigna pas de flatter sur ce point les passions populaires du pays, qu’il bravait volontiers partout ailleurs. C’est ainsi enfin qu’il afficha pour l’unité de l’Allemagne une ardeur pétulante qui ne concordait guère avec sa position de conservateur et le mettait en divergence marquée avec son propre parti, car les hommes de la croix ne sont que très médiocrement portés vers ce qu’on est convenu d’appeler au-delà du Rhin « la régénération de la grande patrie. » Ce serait peut-être faire trop d’honneur au génie machiavélique du ministre prussien que de supposer déjà, dans les conseils de « vigueur » envers les Polonais qu’il n’avait cessé de donner à la Russie vers la fin de l’année 1862, un désir d’amener des événemens fertiles en conséquences ; mais il est sûr dans tous les cas que, l’insurrection polonaise une fois déchaînée, il s’en empara avec une hâte fiévreuse et se promit bien de s’en servir avec résolution et audace.

À quelle fin ? A plus d’une peut-être, car le ministre prussien avait l’esprit et la conscience également larges pour admettre des solutions diverses et même contradictoires. Les journaux d’outre-Rhin[1] citaient à cet égard, dans le temps, un curieux entretien

  1. Voyez, entre autres, la Gazette de Cologne du 22 février 1863.