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petit état acquit une importance supérieure à sa fonction par la part qu’il prenait aux affaires si agitées du dehors. Cet ensemble de circonstances a donné à M. James Fazy une physionomie politique originale et caractérisée, elle lui a valu pendant une longue suite d’années une sorte de dictature, si une dictature est possible en Suisse, et si ce nom peut convenir à un pouvoir qui n’abolit point la liberté. Que M. Fazy ait rendu des services à ses compatriotes, qu’il ait détourné les mauvaises passions de 1848 en dirigeant la main-d’œuvre vers des travaux publics qui ont embelli Genève, qu’il ait commis des fautes, il y a là ce mélange de bien et de mal qui est inévitable dans la conduite des affaires humaines. Il a eu le sort des hommes arrivés au pouvoir par des coups d’audace qui laissent après eux des ressentimens invétérés, le sort des hommes qui gardent longtemps le pouvoir, s’usent par la durée, perdent des amis par la force des choses, redoublent l’irritation de leurs adversaires en les fatiguant par une trop longue domination. En un mot, avec le temps un grand parti s’est formé à Genève contre M. Fazy, parti comprenant les conservateurs, des radicaux dissidens, des hommes nouveaux et des jeunes gens étrangers aux vieilles divisions de 1846, mais tous acceptant les institutions actuelles dans leur radicalisme absolu. Ce parti, qui s’est donné le nom de parti des indépendans, a réussi dans les élections du grand conseil, assemblée représentative de Genève, et a écarté du pouvoir exécutif M. Fazy. Les amis de celui-ci voulaient le faire rentrer au conseil d’état dans la dernière élection, qui a amené des désordres que M. Fazy doit déplorer plus que personne, car ils portent un tort profond à son parti et à sa cause.

Pour ceux qui ont vu Genève le jour même de cette élection, rien ne pouvait faire présager le conflit qui l’a suivie. Le parti indépendant opposait à M. Fazy un citoyen honorable, M. Chenevière. Ce candidat représentait principalement l’opposition à la gestion économique de M. Fazy, que ses adversaires accusent d’avoir grevé les finances genevoises de dettes énormes. Les forces des deux partis semblaient devoir se balancer de si près que tous deux comptaient sur la victoire. Le dépouillement du lendemain donnait à M. Chenevière une majorité de plus de trois cents voix sur plus de onze mille votans. C’est ici que le parti radical a commis une première et impardonnable faute. Il avait la majorité dans le grand bureau chargé du dépouillement des votes. Cette majorité radicale, désappointée par un insuccès auquel elle ne s’attendait pas, n’a pu se résigner patiemment à sa défaite : elle a cru pouvoir invalider l’élection sur de futiles prétextes qu’elle n’a pas même formulés dans un procès-verbal. Au point de vue de la logique démocratique, il était impossible de commettre un plus révoltant abus de pouvoir. L’élection dont il s’agissait était faite par le peuple entier de la république. Le devoir du bureau était de compter les votes et de constater le résultat comme l’expression de la volonté souveraine du peuple genevois ; comment dix-sept citoyens, qui ne tenaient de la loi qu’un