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banlieue. Il n’y aurait en effet rien d’étonnant que dans ces vastes landes, où les bourgs et les hameaux se trouvent à de telles distances les uns des autres, on eût laissé aux criminels, aux débiteurs, à tous ceux que poursuivait la justice du magistrat ou la vengeance du seigneur, un espace considérable au milieu duquel leur personne était sacrée. Dans les villes populeuses du reste de la France, ils avaient pour asile l’église ou le couvent ; dans les solitudes des landes, ils avaient deux bourgades saintes, et peut-être aussi d’autres localités dont les colonnes de refuge se sont depuis longtemps écroulées. Quoi qu’il en soit, les modestes monumens de Saint-Girons et de Mimizan sont, avec quelques églises restaurées et les vestiges du camin romieu que suivaient les légions romaines et les pèlerins de Saint-Jacques, les seuls témoins qui nous restent encore des siècles du moyen âge. Ils disparaîtront probablement bientôt, car chaque année leur enlève une pierre ; tout alors sera moderne dans ce pays des landes, d’autant plus facile à transformer que le travail de l’homme n’y a jamais laissé aucune œuvre importante, aucun monument grandiose de son génie.


II

Les habitans des landes, restés si longtemps en arrière de la population française, traversent actuellement une époque de crise. Une révolution pacifique, de laquelle le pays sortira complètement renouvelé, s’accomplit en silence. Les vieilles traditions s’oublient ; l’ancien idiome gascon se perd, bien moins par suite de l’éducation des enfans que par l’adoption graduelle de mots français servant à exprimer les usages et les besoins nouveaux ; l’antique et sordide misère des paysans landais fait place à l’aisance et même à la richesse. Les journaux et les livres commencent à pénétrer dans les villages les plus reculés, où naguère on ne trouvait que l’almanach de Matthieu Laensberg et quelques pages de grimoire magique. Mais aussi quelles bizarres contradictions, provenant de l’état de transition dans lequel se trouve aujourd’hui la société landaise, se présentent parfois aux regards ! Tel paysan, enrichi soudain par le commerce de la résine et devenu millionnaire par surprise, marche encore pieds nus, et n’a pas déposé ses vêtemens malpropres. Telle commune dont le hameau central se compose d’une dizaine de maisons célèbre sa fête patronale par des combats de taureaux et des courses de chevaux, plates et à obstacles, entraînant une dépense de plusieurs milliers de francs. Les jockeys et les toreros viennent accomplir leurs prouesses dans les villages du Marensin qui ont à peine un instituteur maigrement payé. Enfin des propriétaires de bains de mer font déjà des appels retentissans à la