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était devenu le second culte de l’état, il s’était donné une hiérarchie puissante et marchait à grands pas vers la domination religieuse exclusive ; mais il n’avait point pénétré dans les mœurs : sa seconde mission, la plus difficile peut-être, était de s’assimiler la société qu’il avait conquise. Il fallait, pour y parvenir, faire descendre. une âme chrétienne dans ce corps social façonné par le paganisme, et qu’un christianisme superficiel était impuissant à transformer. Les chrétiens sérieux sentaient la nécessité d’une réforme, et dans le clergé lui-même plus d’un la demandait, tout en s’accommodant des abus. Elle devait venir du dehors. Un souffle parti de l’Orient sembla l’avoir apportée sur les collines du Tibre, ou du moins en avoir semé quelques germes en passant. C’est l’histoire de cette » tentative que j’entreprends dans les pages qui vont suivre : si elle ne réussit pas complètement, elle ouvrit du moins un horizon, elle dévoila des misères, elle émut des cœurs généreux, et ceux qui la tentèrent sont dignes à tous égards du souvenir de l’histoire.


II

Vingt-cinq ans environ avant le pontificat de Damase, et vers l’an 341, Rome reçut dans ses murs un hôte bien illustre, le plus’ illustre dont pût se glorifier une ville chrétienne, car c’était Athanase, évêque d’Alexandrie, le même qui, n’étant encore que diacre, fit prévaloir au concile de Nicée la doctrine catholique de la consubstantialité. Persécuté depuis lors par les ariens, il avait été banni à Trêves du vivant de Constantin, puis rappelé et réintégré par Constance dans son siège, où de nouvelles persécutions ne tardèrent pas à l’assaillir. Obligé de fuir pour sauver sa vie menacée, il trouva un asile près de l’évêque de Rome, à qui il demanda des juges pour sa propre justification et pour la confusion de ses ennemis. L’évêque de Rome l’accueillit bien, et si Athanase n’eut pas la satisfaction de montrer à l’Occident jusqu’où allait en Orient l’imposture arienne, aidée de la connivence des magistrats, il y laissa du moins des aspirations de réforme auxquelles son nom reste attaché.

Il amenait avec lui à Rome deux solitaires égyptiens qui avaient quitté le désert de Nitrie pour partager son exil. L’un se nommait Ammon, et devint célèbre plus tard comme abbé d’un des grands monastères de la contrée ; l’autre, appelé Isidore, était l’homme de confiance d’Athanase, qui, pour le fixer près de lui, l’institua grand hospitalier d’Alexandrie. On avait bien entendu parler en Italie des cénobites d’Égypte et de Syrie et de leur existence étrange, environnée de prodiges, mais c’était par de vagues récits, et on n’en avait jamais vu aucun : ceux-ci furent donc l’objet d’une curiosité presque