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s’établit entre celui qui propage et celui qui reçoit, et l’influence des individus les uns sur les autres commence à faire ainsi de la religion une chose sociale. L’idée et le sentiment n’ont jamais manqué d’être entretenus, compliqués, corroborés par des faits extérieurs, et ces faits, vrais là, faux ici, représentés ou conservés plus ou moins fidèlement, se sont transmis entre les hommes, entre les générations, et c’est ainsi que, de sentiment et d’idée, la religion est devenue croyance et tradition. Toutes les religions ont été en ce sens ou sont encore sociales et historiques. Dans cette mesure, il n’y a rien à dire : on peut rejeter ou contrôler certaines traditions ; de fausses croyances ont pu s’accréditer, et celles de l’ancien monde ont pour la plupart heureusement disparu ; mais à moins d’être atteint de la haine déplorable pour tout ce qui est saint qui animait les Volney et les Dupuis, on doit trouver simple que les hommes aient mis en commun leurs idées, leurs affections, leurs souvenirs, en ce qui touche leurs rapports avec la Divinité. Pour qu’il en fût autrement, il faudrait que tout commerce cessât entre eux, ou que la religion ne fût pas communicable.

Cependant c’est de ce fait légitime et naturel que sont résultés en grand nombre des institutions, des usages, des événemens qui ont prêté à la critique, à la juste critique, des historiens et des publicistes, et qui alimentent encore aujourd’hui des controverses animées sur la constitution et la liberté des cultes. Il serait oiseux d’essayer une narration, une description, même la plus sommaire, des conventions sociales auxquelles la religion a donné lieu sur la terre. Venons sans intervalle à celle qui nous intéresse seule, à la nôtre, et, mettant à part tous les dogmes chrétiens, dont ici la vérité et la sainteté ne sont à aucun égard en question, reconnaissons sans détour, mais sans amertume, qu’à mesure qu’on sort de la pure spiritualité chrétienne et qu’on l’incorpore, qu’on la matérialise en quelque sorte dans une liturgie, dans une église, un clergé, une hiérarchie, un pontificat, même un gouvernement politique auxiliaire ou protecteur de la foi, les difficultés se produisent et se compliquent, les griefs naissent, les abus deviennent possibles, et les ressentimens, les mécontentemens contre lesquels le christianisme a eu de tout temps à lutter viennent presque tous de ce qu’il y a en lui d’organisation extérieure et de sa partie terrestre et temporelle. C’est là, pour ainsi parler, son royaume de ce monde, celui dont Jésus-Christ n’a pas voulu.

On admire beaucoup la constitution de l’église catholique ; cependant, l’admiration qu’on professe étant en général fondée sur des idées politiques qui ne peuvent certes être approuvées sans restriction, — l’unité, la hiérarchie, la souveraineté non limitée et non