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observent tout ce qui se passe aux environs, j’ai visité un ancien cromlech à demi caché sous les fougères, et qui a reçu le nom de Giant’s grave (tombe du Géant). Ce monument consiste en trois blocs de granit couchés sur des pierres latérales qui leur servent de point d’appui, et forment ainsi vers le milieu une sorte de vide à travers lequel un homme pourrait passer en rampant. On trouve aussi dans l’île un spécimen curieux de ce que les Anglais appellent cliff castles (châteaux-falaises). Il ne faudrait pourtant point, sur la foi du nom, s’attendre à trouver une citadelle construite d’après l’art moderne de nos ingénieurs ; ces châteaux-forts annoncent au contraire l’absence de toute architecture. Borlase attribue aux Danois les traces de grossiers ouvrages militaires qu’on découvre autour d’une des falaises de Saint-Mary’s ; mais le vulgaire, qui aime le merveilleux, lui a donné le nom de château du Géant, Giant’s castle. Ce n’est point seulement sur les pierres et les monumens de la nature que les anciens Bretons ont gravé la trace de leur passage ; quelques coutumes celtiques se sont conservées dans les mœurs des habitans. Au solstice d’été, midsummer, les côtes de la Cornouaille en face des îles Scilly se couronnent de feux de joie. Tous les antiquaires attribuent l’origine de cette coutume aux anciens druides, qui croyaient attirer ainsi les bénédictions du ciel sur les fruits de la terre commençant à mûrir.

Il est difficile de ne pas être frappé de la ressemblance qui devait exister autrefois entre cette partie de l’Angleterre et notre Bretagne française. C’était la même race d’habitans, la même langue, presque la même configuration des roches. Aujourd’hui la différence est grande. Tandis que des dogmes immobiles, des traditions féodales, des coutumes de l’ancien régime enchaînaient nos Bretons à l’ignorance et à la misère, les Celtes de l’autre côté du détroit ont trouvé dans la liberté religieuse et dans la liberté politique le moyen de dominer les conditions ingrates que leur avait faites la nature. Les habitans des îles Scilly sont très industrieux : les uns exercent la profession de pilote, d’autres se livrent à la construction des navires ou à l’agriculture. L’intérieur de Saint-Mary’s est un délicieux jardin entouré par une redoutable ceinture de rochers et de falaises au milieu desquels domine l’orgueilleux promontoire de Penninis. On y trouve toute la grâce d’une campagne bien verte, bien cultivée, arrosée de sources et de ruisseaux, formant un contraste perpétuel avec les aspects les plus farouches et les beautés les plus sauvages. Les fermes ont un grand air de prospérité. Des huttes construites avec des pierres sans ciment et surmontées d’un toit de chaume lié par de grosses cordes de paille servent de granges pour recevoir le produit de la moisson. Les champs se trouvent divisés par des haies