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mourut à quatre-vingt-dix-neuf ans au milieu des discordes civiles.

Dans le cours de cette étude, j’ai dégagé entièrement l’œuvre scientifique de Pythagore de son œuvre philosophique, bien qu’elles fussent combinées et unies par toute sorte de liens. J’ai voulu montrer Pythagore, non tel qu’il apparaissait aux yeux de ses élèves favoris, avec les prestiges réunis et accrus les uns par les autres du savant, du voyageur, du métaphysicien, de l’initiateur : je l’ai fait voir tel qu’il se montre à la science moderne, avec des titres indiscutables et sans aucun appareil trompeur ou inutile. Même ainsi, on le trouvera sans doute assez grand : la critique doit s’incliner devant ce penseur profond et ardent qui, mettant son âme au-dessus des préjugés de son temps, alla chercher la vérité loin de sa patrie, qui sut profiter à la fois de toutes les conquêtes du génie grec et de toutes celles du génie asiatique. Ceux qui sont un peu familiers avec les sciences sont seuls capables de comprendre toute l’étendue des services que Pythagore a rendus à l’esprit humain en mettant en contact la géométrie et l’arithmétique, en élevant la dernière à une hauteur qu’elle a dépassée à peine dans les temps modernes. De tels services sont de ceux dont l’humanité ne comprend pas facilement la portée et qui ne forcent point sa reconnaissance, comme les travaux des ingénieurs, des physiciens, des architectes, de tous ceux qui sont en quelque sorte ses serviteurs de chaque jour. Et pourtant, depuis l’enfant qui balbutie ses leçons jusqu’à l’astronome qui mesure le mouvement des astres, depuis le marchand qui compte ses écus jusqu’au mathématicien qui joue avec de purs symboles, y a-t-il un de nous qui ne doive quelque chose au maître dont les enseignemens ont dépassé l’étroite enceinte de l’école et ont pris place parmi ces notions fondamentales qui servent de base et de soutien à la civilisation moderne ? L’histoire a été en définitive assez juste pour Pythagore. Bien peu sans doute sont capables d’apprécier son ouvrage ; depuis longtemps, sa vie et sa doctrine sont enveloppées de ténèbres, où la critique moderne commence seulement à s’orienter ; mais sur les ruines de l’école et dans la poussière des commentateurs, malgré la confusion qui a fait méconnaître l’origine de tant de découvertes, son nom a continué à planer, porté par l’instinctive vénération des siècles et par la conscience cachée de l’humanité.

L’histoire de Pythagore offre un double enseignement : elle nous montre jusqu’où peut atteindre la grandeur d’un seul homme ; elle fait également comprendre combien est lente l’œuvre des sciences et des civilisations primitives. On a longtemps pu prendre la petite terre hellénique comme le centre, le premier foyer du progrès dans le monde ; mais aujourd’hui l’on ne saurait plus considérer la culture