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les conquérans mongols vers la fin du moyen âge. Les Russes colorent diversement les boules qui représentent les unités, les dizaines et les centaines. Le général Poncelet, pendant sa captivité en Russie, apprit à connaître cette machine nommée tchotu, et la rapporta en France. D’après les indications de M. Poncelet, on a depuis employé le boulier (c’est le nom français du souanpan chinois) dans les salles d’asile pour familiariser les enfans avec les premiers élémens de l’arithmétique. La machine à calcul de l’Asie a de tout temps été fondée sur le système décimal : une boule de la deuxième ligne vaut dix boules de la première, une boule de la troisième ligne dix boules de la seconde. On imagine sans peine comment, grâce à ce petit appareil, on peut faire avec rapidité des additions, des soustractions, des multiplications peu compliquées, enfin représenter un nombre quelconque. Dans ce système, le zéro fait défaut par la simple raison qu’on n’en a aucun besoin. Quand une unité d’un certain ordre manque, il suffit de laisser une place vide du côté où se rangent d’ordinaire les unités de cet ordre.

La machine à calcul n’a pas été inventée seulement en Asie : des besoins semblables en ont provoqué la découverte chez les anciens Étrusques et dans l’Inde ; elle a servi de modèle pour les tables de métal ou de pierre employées chez les Grecs. Ces tables contenaient d’abord des entailles ou des rainures où l’on plaçait soit des pierres, soit des jetons représentant les unités de divers ordres et correspondant aux boules du souanpan. M. Cantor pense que c’est Pythagore qui perfectionna le premier l’ancienne table à calcul grecque et qui en fit le véritable abaque. Le mot grec abax ressemble au mot sémitique abak, qui veut dire poussière. Les tables à rainures devinrent des tables à poussière ou à sable, sur lesquelles on put tracer et effacer à volonté les signes représentant les nombres. C’est à Babylone que Pythagore aurait acquis les connaissances arithmétiques qui l’obligèrent à employer la table à poussière au lieu de l’ancienne table, qui ne se prêtait qu’à un nombre trop restreint d’opérations. Il apprit aussi à représenter les nombres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 par des signes différens ; or toute l’arithmétique repose sur la double convention qui permet de représenter les unités des divers ordres par les mêmes signes et de les distinguer cependant les unes des autres par la place qu’elles occupent. L’arithmétique se condamnait à l’impuissance tant qu’elle ne savait point donner à des symboles uniformes une valeur de position variable avec le rang où ils se trouvent placés. L’instrument de cette grande révolution fut la table de sable ou de poussière, où le maître pouvait également enseigner la géométrie et l’arithmétique, et où, par cette communauté même d’emploi, il était conduit à assigner aux nombres une valeur