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fique. Sa vie a cela de particulier qu’elle donne le secret et comme la clé de sa doctrine ; aussi mérite-t-elle d’être connue dans tous ses détails. Ce ne sont pas certes les biographes qui lui ont manqué ; mais ce qu’ils ont raconté de lui, après avoir longtemps inspiré créance, a semblé plus tard si extraordinaire qu’une critique hâtive, réagissant contre une crédulité trop confiante, a tout rejeté à la fois. La légende avait chargé de tant de fables cette vie étrange que l’on ne s’est point donné la peine de séparer la trame solide des faits des ornemens dont elle avait été surchargée. Aujourd’hui on croit assez généralement que la vie de Pythagore ne saurait être écrite, et qu’on a tout dit quand on a rappelé que le philosophe grec est né à Samos et est mort dans l’Italie méridionale. Sur quoi se fonde cette incrédulité ? et n’y a-t-il donc aucun document qui puisse servir à reconstruire la biographie de Pythagore ? Assurément nous ne sommes plus aujourd’hui disposés à donner aux biographes les plus célèbres de Pythagore les noms pompeux qui les ont si longtemps glorifiés : Porphyre n’est plus pour nous « le divin, » ni Jamblique « le merveilleux ; » la critique moderne considère ces représentans de l’école néo-platonicienne comme des esprits médiocres et de simples compilateurs ; mais, en acceptant cette appréciation, un Allemand, M. Röth, qui a été enlevé prématurément à la science, a fait remarquer que ces deux écrivains, fidèles à leur rôle ordinaire, ont emprunté tous les détails relatifs à Pythagore à deux disciples d’Aristote, Aristogène et Dicéarque, considérés par Cicéron et par toute l’antiquité comme des autorités de premier ordre. Les témoignages de seconde main de Porphyre et de Jamblique ont donc, d’après M. Röth, une valeur réelle, que la critique aurait grand tort de rabaisser. L’ouvrage trop peu connu de M. Röth mérite tous les éloges que lui accorde M. Cantor, qui, adoptant le même point de vue, s’est encore efforcé de corroborer les témoignages de Porphyre et de Jamblique par ceux de Nico-maque, de Théon de Smyrne et de Proclus. Il nous manque malheureusement les œuvres de Théophraste de Lesbos, un contemporain de Dicéarque, dont Diogène Laërce a seulement transmis les titres, ainsi que les ouvrages d’Eudème de Rhodes.

La réaction en faveur de Jamblique et de Porphyre a, en ce qui concerne Pythagore, des conséquences que l’antiquité n’aurait pu prévoir : l’on avait cru longtemps sur leur foi que le célèbre philosophe avait été à Babylone, puis on cessa de le croire ; mais jamais on ne connut exactement l’importance des idées et des doctrines scientifiques que Pythagore avait recueillies en Asie. La fierté grecque ne voulut jamais reconnaître une dette envers les « barbares ; » elle ne soupçonnait même pas qu’elle pût devoir quelque chose à