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cette liste effraie les religieuses. Qu’on veuille bien dire clairement, ce qui leur manque. Est-ce l’instruction morale et religieuse ? Ne savent-elles pas lire couramment ? ne savent-elles pas écrire ? Les élémens de la langue française, qu’on ne s’y trompe pas, c’est l’orthographe, pas autre chose. Le calcul, ce sont les quatre règles ; encore les commissions d’examen sont-elles assez faciles au sujet de la division. Mais en vérité, supposons que ces femmes qui tiennent des écoles ne sachent pas faire une division et ne connaissent pas le système légal des poids et mesures, combien leur faudra-t-il de temps pour acquérir ces deux sciences difficiles ? Il faut pour cela un mois à un enfant de huit à neuf ans, de capacité ordinaire. Les 12,000 religieuses qui ne reculent pas devant la pensée de diriger une école vont se retirer, dit-on, devant la nécessité d’apprendre à faire une division ! Et c’est pour les protéger contre une exigence si extraordinaire qu’on fait une loi d’exception en leur faveur ! Et quand une telle déclaration est faite solennellement par les plus ardens défenseurs des écoles congréganistes, on dira que nous avons en France un enseignement primaire des filles sérieusement organisé !

Résumons la situation en quelques mots pour ôter tout prétexte aux illusions.

Il y a infiniment trop peu d’écoles publiques ouvertes aux filles, puisqu’elles en ont beaucoup moins que les garçons, et que les garçons n’en ont pas assez. Parmi les écoles ouvertes aux filles, nous sommes obligés de compter les 18,147 écoles mixtes, qui font beaucoup plus de la moitié du nombre total ; 9,852 écoles de filles sont passables, médiocres ou mauvaises ; 13,101 sont tenues par des religieuses, et dans ce grand nombre d’écoles congréganistes on ne compte que 766 maîtresses munies d’un brevet. M. Michel Chevalier, dans son rapport sur la dernière exposition universelle, s’exprime ainsi : « J’ose affirmer que dans nos campagnes, parmi la population mâle, entre trente et soixante ans, il n’y a pas une personne sur dix qui ouvre de temps en temps un livre pour y apprendre quelque chose. Parmi les femmes, il faudrait dire une sur vingt[1]. » Cette phrase a été écrite en 1862. M. Michel Chevalier par le des personnes de trente à quarante ans. Il est heureusement certain que le nombre des illettrés diminue chaque année, et que la disproportion entre les hommes et les femmes diminue également ; mais cette diminution est d’une lenteur désolante. La statistique des mariages pour 1861 donne les résultats suivans, dont l’optimisme le plus imperturbable ne saurait se contenter : sur

  1. M. Michel Chevalier, Progrès de l’industrie moderne, 1862.