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capacité des religieuses tenant école, car les rapports des inspecteurs ne sont pas livrés à la publicité ; cependant il est assez connu que beaucoup de leurs écoles sont très faibles et ressemblent plutôt à un gardiennage, à un ouvroir qu’à une école. En droit, il n’y a pas de plus forte présomption d’incapacité que l’importance qu’on a mise pour les religieuses à les dispenser de l’examen. Et ce qui achève la démonstration, c’est qu’un certain nombre d’entre elles passent l’examen et ont un brevet. Pourquoi le passent-elles ? Parce qu’elles se sentent capables. Pourquoi les autres ne le passent-elles pas, puisqu’il est évident par cet exemple que rien ne s’y oppose dans les convenances de leur état ? Parce qu’elles se sentent incapables. 766 sœurs sont pourvues du brevet de capacité ; 12,335 n’ont que des lettres d’obédience. Notons aussi que dans les derniers comptes-rendus 9,852 écoles de filles sont notées comme passables, médiocres ou mauvaises.

Il y aurait donc urgence à revenir aux termes de la loi de 1833 et à demander le brevet de capacité à toutes les personnes qui se livrent à l’enseignement, à moins qu’on ne préfère prendre une mesure plus radicale et le supprimer absolument pour tout le monde ; mais nous sommes bien loin en France de songer à ce dernier parti : il s’en faut bien que la liberté absolue du travail soit dans nos mœurs. Pour ce qui concerne en particulier l’enseignement, loin de songer à supprimer les examens, nous n’en sommes encore qu’à constituer des jurys impartiaux. Il faut avouer d’ailleurs, en le déplorant, que la France est bien ignorante et qu’on aurait grand’peine à trouver dans le fond des campagnes des parens capables d’apprécier la capacité des maîtres. Bornons-nous donc à demander la règle uniforme, le droit commun. C’est en toutes choses un terrain solide. On a le bon sens pour soi, et avec un peu de patience et de persévérance on ne peut manquer de réussir.

Il n’y a point parmi nous de passion plus vivace que la haine de l’influence cléricale. On la retrouve partout, dans les esprits les moins cultivés et dans un monde très supérieur. À certains momens d’affaissement général, où la politique désarme, où chacun ne songe plus qu’à faire des affaires, on se réveille encore dès qu’il s’agit du clergé et de l’église. Ce n’est peut-être pas par excès de philosophie. Le grand nombre connaît mal ce qu’il condamne et donne de pauvres raisons pour expliquer son incrédulité ou sa colère. Le fond est plutôt un dissentiment politique qu’une querelle religieuse. C’est le souvenir de ce clergé riche, privilégié, puissant, qui, en 1762, d’après les calculs de l’abbé Expilly, comptait 406,482 personnes engagées par des vœux religieux, et n’avait pas moins de 120 millions