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trouvant une nouvelle lettre, une lettre confidentielle et pressante du roi son père, il répond aussitôt en ces termes :


« Grodno, le 23.

« Sire, en arrivant ici, l’on m’a remis la lettre dont votre majesté m’a honoré. J’y vois avec une douleur extrême la nécessité, sire, de vous désobéir ou de me déshonorer. J’appelle de ma situation au cœur de votre majesté. S’il ne me condamne pas, je me consolerai avec plaisir du sort que la destinée me prépare. »


— Cette réponse ne signifie rien, dit le roi à Flemming en lui lisant le billet, nous n’en sommes pas plus avancés. — Elle signifiait du moins que le duc-élu de Courlande ne renonçait pas à la lutte. Il était trop tard assurément pour que Maurice pût déjouer à Grodno les intrigues de ses adversaires. La diète polonaise avait réussi à éloigner ou à déconcerter les dissidens ; l’unanimité était assurée au parti qui voulait faire casser l’élection de la diète de Mitau. On raconte qu’un gentilhomme saxon, M. de Dieskau, eut l’idée de se déguiser, de se raser les cheveux, de prendre le costume des seigneurs de Pologne, et de pénétrer ainsi dans l’assemblée pour opposer son liberum veto à la décision de la diète : singulière entreprise à laquelle il serait difficile de croire, si elle n’était attestée par des témoins. Ce stratagème de comédie montre bien que la cause de Maurice était désespérée en Pologne. Le 9 novembre 1726, la diète de Grodno prononce la nullité de l’élection faite à Mitau le 28 juin. Maurice est banni de Courlande, et sa tête mise à prix. Quant aux seigneurs courlandais qui ont élu le comte de Saxe malgré le veto du gouvernement, déclarés traîtres à la loi fondamentale, traîtres au pacte séculaire qui soumet la Courlande au protectorat de la Pologne, ils auront à rendre compte de leur crime devant le tribunal de la république. On voit quels étaient les sentimens des magnats polonais pour la noblesse de Courlande. Ces haines de race qui durent encore aujourd’hui, ces haines du Slave et du Germain qui font que l’héroïque Pologne du XIXe siècle est si froidement défendue, même par les libéraux, même par les démocrates de Berlin ou de Vienne, contre des oppresseurs sans pitié, ces haines éclatent ici d’une manière sauvage au milieu des questions d’intérêt. Flemming, s’il est vrai qu’il fût mêlé secrètement à l’affaire, n’avait pas eu de peine à soulever les passions. Il s’agissait pour lui d’effrayer le roi son maître, de le guérir une bonne fois de ses complaisances pour Maurice ; il s’agissait aussi d’effrayer Maurice et d’en finir avec l’aventurier dont les coups de tête gênaient la politique saxonne. Effrayer Frédéric-Auguste, cela pouvait réussir à Flemming, bien que le roi de Pologne, on va le voir, ait considéré tout d’abord comme une plaisanterie ces tragiques menaces des Polonais. Effrayer