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les filles ferait sortir de terre des écoles. Il n’en est rien : on s’accoutume à l’ignorance ; c’est un commencement d’éducation qui montre la nécessité d’une éducation plus complète. Les 490 commissaires envoyés par M. Guizot en 1833 pour répandre partout les bienfaits de l’instruction rencontrèrent de l’indifférence ou même de l’hostilité dans tous les hameaux où il n’y avait pas d’école. Il en est de même de la presse et de la vie politique ; il importe de garder précieusement ce qu’on a, même quand ce qu’on a est peu de chose ; on ne recule jamais impunément. Il faut donc attendre que les législateurs se décident à ne plus faire d’économies aux dépens de la morale. Jusque-là il sera nécessaire d’améliorer les écoles mixtes et de les tolérer. C’est un premier et très grand malheur de notre organisation actuelle.

Quant à nos 13,991 écoles de filles, elles ne sont pas, tant s’en faut, dans une situation florissante. L’état ne garantit aux institutrices aucun traitement ; elles vivent sur la bonne foi des communes, comme les instituteurs avant la loi de 1833. L’Exposé de la situation de l’empire assure qu’elles ont un revenu moyen de 665 francs 33 cent. Cela leur ferait, à peu de chose près, 1 fr. 85 c. par jour ; n’en croyez rien, elles seraient riches ! Pour établir cette moyenne, on a fait un total de tous les traitemens et on l’a divisé par le nombre des institutrices ; mais on a compté dans le total les revenus relativement très élevés de quelques institutrices de grandes villes, et cette disproportion entre la richesse d’une minorité et le dénûment du très grand nombre à complètement faussé la moyenne. C’est ainsi que dans la Statistique de l’industrie parisienne, publiée en 1851 par la chambre de commerce de Paris, on lit que le salaire le moins élevé des femmes qui décorent la porcelaine est de 1 fr., et le salaire le plus élevé, de 20 francs. Seulement le salaire de 20 francs n’est touché que par une seule artiste sur 996, et presque toutes les autres sont obligées de se contenter d’un salaire inférieur à 1 fr. 50 c.[1]. La statistique a de ces surprises. Si l’on faisait la moyenne du revenu des institutrices dans les petites villes et dans les campagnes en ne tenant pas compte des exceptions, il ne faudrait plus parler de revenus de 600 francs. Ce travail a été tenté ; on ose à peine dire qu’on est arrivé à 100 fr. pour l’allocation municipale, et à 200 francs pour la rétribution des élèves payantes. Ce chiffre peut être contesté, parce qu’il repose sur une classification arbitraire des écoles. Laissons-le de côté. Ce qu’on ne contestera pas, c’est le fait suivant, qui est officiel. Le ministre, dans sa générosité, dans son humanité, a voulu porter à 500 fr. le salaire annuel

  1. Statistique de l’industrie à Paris. 1851, p. 153.