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fort nombreuses dans les campagnes en 1833, et donnaient lieu à de : grands désordres. Dans le Gantai, des religieuses, appliquant à rebours le principe de M. de Talleyrand, recevaient des garçons de cinq à dix ans dans les écoles de filles[1]. Dans les Ardennes, l’école de Perthes entassait 80 élèves, garçons et filles, dans un espace de douze pieds carrés[2].Dans le Cher, un inspecteur avait trouvé deux filles de seize à dix sept ans enfermées seules dans une chambre avec un jeune homme du même âge pendant que l’instituteur, qui cumulait avec cet emploi celui de sacristain, était allé servir la messe[3]. Dans une commune du canton de Vanves, Eure-et-Loir, la classe était si étroite que les petites filles étaient obligées de monter sur la table pour aller à leur place[4]. Plusieurs instituteurs tenant des écoles mixtes étaient célibataires ; on en citait un qui, à dix-neuf ans, avait des écolières de quatorze[5]. Dans plusieurs communes, on avait été obligé de dissimuler des faits trop affligeans afin d’éviter le scandale[6]. L’administration, constituée sur des bases excellentes par la loi de 1833, s’efforça d’obtenir la séparation des sexes, elle agit constamment dans ce sens ; mais il n’y a qu’un moyen d’assurer ce résultat, c’est l’argent : il faut que l’instituteur soit assez bien payé pour n’avoir pas besoin de la rétribution des filles. On ne fera aucune réforme sérieuse dans l’instruction primaire tant qu’on s’obstinera à la traiter avec cette honteuse parcimonie. Les instituteurs s’opposaient sourdement à une mesure qui leur ôtait la moitié de leurs élèves ; les conseils municipaux résistaient pour le même motif, ne voulant ni augmenter la subvention communale, ni laisser mourir de faim l’instituteur. Aujourd’hui encore, au milieu des réclamations universelles, c’est l’argent qui fait le seul obstacle, et en effet la suppression des écoles mixtes coûterait cher, car il ne peut venir à

    que faute de local, et dans les campagnes où il n’existe qu’un seul instituteur pour les deux sexes, elle soit d’une exécution difficile : dans ce cas, il paraîtrait convenable de fixer deux séances dans ces écoles, une le matin pour les garçons, et l’autre le soir pour les filles ; mais on ne doit prendre ce parti que quand il n’y aura pas moyen de faire autrement. » Comparez la circulaire du comte Decazes, ministre de l’intérieur, du 3 juin 1819.

  1. Tableau de l’instruction primaire en France, par P. Lorain, chef du bureau de l’instruction primaire au ministère de l’instruction publique, p. 320.
  2. Ib., p. 328. École de Perthes, arrondissement de Rethel. Ce sont les termes mêmes du rapport. Le fait parait incompréhensible. Dans la commune de La Paix (Ardennes), où il y avait deux écoles, l’école des filles était tenue par un homme.
  3. Ib., p. 328. École de C…, arrondissement de Sancerre (Cher).
  4. Ib. Commune de R… S… F…, canton de Vanves, arrondissement de Chartres (Eure-et-Loir).
  5. Ib., p. 330. Commune de B…, canton d’Auros, arrondissement de Bazas (Gironde).
  6. Ib., p. 330.