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Rhodes, et le capitan-pacha descendit à terre. Si jamais une flotte s’est mise dans le cas d’être brûlée, c’est assurément la flotte ottomane. Elle était mouillée, dans une confusion dont on ne peut se faire une idée, sur l’étroit plateau de sable qui forme le mouillage extérieur de Rhodes. Les Égyptiens rôdaient aux alentours. S’ils n’attaquèrent pas cette fois les vaisseaux ottomans, nul doute qu’ils n’eussent l’ordre de les ménager. Il n’eût pas fallu qu’au lieu d’Osman-Pacha avec ses vaisseaux Miaulis se fût trouvé là avec ses bricks. Lui, qui avait offert le combat à toute une escadre dans le canal de Cos, il n’eût pas hésité à donner de nuit au milieu de ces vaisseaux en désordre, qui se seraient certainement détruits eux-mêmes.

Les Turcs ne restèrent pas longtemps dans cette situation périlleuse. La tentation fût devenue trop forte pour l’ennemi. Ils se réfugièrent dans la baie de Marmorice, et les Égyptiens vinrent les y bloquer. Quand on a visité les côtes qui se déroulent du golfe de Macri jusqu’aux Dardanelles, on comprend que la civilisation se soit d’abord assise sur les bords de la Méditerranée. Quels ports paraîtront dignes d’admiration aux marins qui auront pénétré dans la baie de Marmorice ? Un goulet resserré ouvre l’accès d’une rade où mille vaisseaux ne se presseraient pas ; tout autour du golfe, les collines, qui s’étagent, descendent jusqu’à la mer chargées de myrtes, de lauriers-roses ou de forêts odorantes. Je regrette de n’avoir pas retenu le nom des arbres qui couvrent une partie des rivages de la baie de Marmorice et du port voisin de Karagatch. Des marchands viennent, sur les lieux mêmes, en faire bouillir l’écorce pour en extraire un baume dont le parfum aromatique se répand au loin.

Les Turcs passèrent plus d’un mois dans cette baie, qui leur avait offert si à propos un refuge. Enfin, sur des ordres venus de Constantinople, ils se décidèrent à en sortir. Les Égyptiens leur ouvrirent encore une fois le passage. Le gouvernement de la Sublime-Porte semblait tout préparer pour une prochaine évacuation des vastes provinces d’où se retiraient lentement ses armées. Une frégate à peine achevée, qui se trouvait sur les chantiers de Rhodes, avait été lancée, équipée à la hâte, et amenée de nuit par un des navires à vapeur de l’escadre sur la rade de Marmorice. Cette frégate était un assez grand embarras ; elle dérivait tellement que, sans le secours de deux petits steamers, il eût fallu l’abandonner. On la faisait remorquer, tant que le jour durait, dans le lit du vent. La nuit venue, elle mettait à la voile et se retrouvait en ligne au lever du soleil. Un vaisseau à trois ponts était en construction à Boudroun, l’ancienne Halycarnasse : on voulut l’adjoindre aussi à l’escadre ; à cet effet, nous donnâmes dans le canal de Stancho, canal