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Cependant le commandant de la station du Levant avait d’autres soins. Tout n’allait pas de soi dans le nouvel état qu’avait imaginé la science des plénipotentiaires. Le capitaine Lalande aurait bien là, comme à bord de la Calypso, trouvé et appliqué hardiment le remède ; mais ce n’était pas sa mission. Il observait donc les événemens, en rendait compte, et faisait pressentir les complications qui ne pouvaient tarder à se présenter. Le président Capo-d’Istria en effet ne contenait plus les partis. Il avait le sien, qui était encore le plus fort, qui ne l’eût pas été longtemps sans l’appui de la Russie. Ce parti avait ses racines en Morée ; les insulaires et les Maniotes lui étaient très hostiles. L’île d’Hydra avait été la première à lever l’étendard de la révolte. Au fond de ces querelles, il y avait d’un côté le désir de devenir un état, de l’autre la résignation intéressée qui acceptait pour la Grèce le rôle et le régime d’une province. Un crime odieux vint flétrir la cause qui aurait eu sans cela toutes nos sympathies. Le président Capo-d’Istria fut assassiné en sortant de l’église de Saint-Spiridion par deux chefs maniotes. L’un des assassins fut tué sur le coup par un des gardes du président, l’autre réussit à gagner la légation de France. La police vint le réclamer. Il n’y avait pas à hésiter. La France ne protège pas les assassins. Le commandant Lalande consulté fut d’avis qu’il fallait se borner à stipuler que le réfugié serait garanti de la fureur de la populace et soumis à un jugement régulier.

Le parti du président, qui chancelait avant ce crime, se releva triomphant. Les Moréotes, serrés autour de Colocotroni et d’Augustin d’Istria, conservèrent le pouvoir ; l’appui de la Russie se montra plus manifeste. Les insurgés s’étaient emparés de l’île de Poros et de la frégate l’Hellas. L’escadre russe, par ses démonstrations, obligea l’Hellas à se faire sauter. Nous n’avions pu prévenir cet événement ; nous le déplorâmes. La destruction d’une propriété nationale donnait un fâcheux vernis à la cause des Hydriotes. Il était temps d’en finir. L’Angleterre s’était heureusement rapprochée de la France, et ces deux puissances, quand elles sont d’accord, font presque toujours prévaloir dans le monde les conseils de paix et de modération. On reconnut la nécessité de mettre à la fois un terme à la guerre civile et à l’intervention trop passionnée des Russes. L’occupation du siège du gouvernement par l’armée française fut décidée. Les troupes qui se trouvaient à Modon et à Navarin durent être transportées à Nauplie de Romanie. C’était une solution provisoire ; la véritable solution pour quelques années du moins, c’était le choix d’un souverain étranger et la garantie d’un emprunt ; mais avant que les cabinets eussent pu s’entendre sur ce sujet, la Calypso et le capitaine Lalande étaient déjà rentrés en France.