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ferme, intelligent, résolu, prompt à prendre un parti ; c’est bien plus : c’est un homme né sous une heureuse étoile, un homme qui a le don. Les vieux matelots le connaissaient tous et le saluaient avec une familiarité qui n’excluait pas le respect, quand ils le rencontraient, le dos déjà voûté par l’âge, enveloppé de sa grosse houppelande et repassant en lui-même quelque appareillage réussi ou quelque vigoureux coup d’écoute. La vapeur est venue apporter dans les conditions de notre métier plus qu’un changement radical : elle y a produit une révolution ; elle a bouleversé de fond en comble nos traditions, nos plaisirs, nos usages et jusqu’à nos mœurs. « Je ne suis plus sur un navire, m’écrivait dès 1842 un de mes jeunes élèves qui venait de quitter le brick la Comète pour passer à son grand regret sur ce que nous appelions à cette époque un bateau à vapeur ; me voilà embarqué sur une usine flottante ! » il faut cependant être de son siècle. La marine de nos jours peut Avoir aussi ses charmes, elle a du moins l’intérêt qui s’attache à toutes les choses sérieuses et d’une grande importance dans le règlement des affaires de ce monde. C’est une puissante arme de guerre, un incomparable moyen de locomotion. On luttait avec les vagues, on les courbera désormais sous sa proue.

On est devenu plus fort. A-t-on par cela seul moins besoin d’être habile ? Il est indispensable ici de s’entendre : l’habileté du manœuvrier a été mise sans doute à la portée de tous, -— au moins du plus grand nombre ; — mais il reste l’habileté du navigateur. En fait de navigation, la vapeur nous donne à résoudre des problèmes que, sans elle, nous n’aurions eu garde d’aborder. Un vrai marin, — je laisse de côté le soldat et le voyageur, je n’ai en vue que l’officier qui commande et conduit en pleine paix son navire, — un vrai marin, dans ce sens restreint et bien affaibli du mot, n’est pas en 1864 plus qu’en 1840 un homme ordinaire. S’il existe une différence entre l’officier de 1864 et ce qu’on appellera bientôt le marin d’autrefois, cette différence est loin de constituer une infériorité. L’inspiration pouvait jusqu’à un certain point tenir lieu à celui-ci de méthode ; l’autre devra moins compter sur les privilèges d’une heureuse nature. La science lui réserve des labeurs qui n’auront pas exclusivement le pont du navire pour théâtre. Jadis on s’instruisait pour ainsi dire en plein air. Étudier, c’était agir, c’était aussi promener autour de soi un regard attentif et curieux. On trouvait une leçon dans chaque incident, et dans chaque leçon l’occasion de mille commentaires. La retraite et la méditation en eussent moins appris que de gais entretiens et de confians échanges. Il n’en sera plus de même de nos jours. Nous avons à dompter ces élémens par lesquels naguère nous nous laissions conduire. Quand nous saurons