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riches squatters. Pour les chasseurs plus modestes, il y a les pigeons, les perroquets, les pélicans, que l’on rencontre partout où il y a de l’eau ; mais en somme tous ces animaux sont rares, surtout dans les districts stériles, et le voyageur ne peut, en aucun cas, compter pour vivre sur les produits de la chasse. La pénurie de produits naturels au sol a été une des principales difficultés de tous les voyages d’exploration. Aussi les voyageurs sont-ils contraints d’emporter au départ tout ce qui est nécessaire pour assurer leur, alimentation jusqu’au moment du retour.

Au milieu de cette nature triste et pauvre, qui ne s’attendrait à trouver l’homme dans un état de dégradation et d’infériorité par rapport aux peuples qui habitent des pays plus riches ? Dépourvu d’animaux domestiques pour le transport des fardeaux et le travail des champs, réduit à une nourriture végétale souvent précaire, l’indigène australien est encore détourné de la civilisation par l’isolement dans lequel il est confiné. Chaque petite tribu considère comme ennemies les tribus voisines qui s’approchent de son territoire. Aussi les dialectes varient-ils d’un lieu- à l’autre. Ces hommes n’ont rien de commun entre eux. Pour comprendre l’état d’abaissement où ils sont restés jusqu’à ce jour, il faut considérer qu’aucune des causes qui ont limité les progrès de la civilisation en d’autres points du globe n’a manqué ici. Comme les peuples pasteurs de l’Afrique, ils mènent une vie errante et isolée ; comme les peuplades de l’extrême nord, ils ont à lutter contre la pauvreté du sol ; comme les races de l’Asie méridionale, ils sont accablés par une chaleur excessive. Ni l’agriculture, ni l’industrie, ni le commerce ne pouvaient prendre naissance parmi eux. Cette race est en quelque sorte condamnée d’avance à disparaître. Et cependant les colonies européennes ont atteint une prospérité merveilleuse dans un pays où les indigènes végétaient depuis des siècles dans le plus sauvage abaissement. La race blanche, forte des lumières et de la puissance qu’elle avait acquises sous les latitudes fertiles et tempérées de l’ancien monde, s’est transportée dans une contrée nouvelle où la race noire dépérissait, et elle y a fondé en peu d’années un magnifique empire. Elle a réussi dans les conditions mêmes où les aborigènes ne pouvaient sortir de la barbarie. On se placerait donc à un point de vue trop étroit en considérant seulement les conditions physiques et météorologiques que les Européens ont su féconder dans l’Océanie. « Les pays ne sont pas cultivés, a dit Montesquieu, en raison de leur fertilité, mais en raison de leur liberté, et si l’on divisé la terre par la pensée, on sera étonné de voir la plupart du temps des déserts dans ses parties les plus fertiles, et de grands peuples dans celles où le terrain semble refuser tout. »


HENRI BLERZY.