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change au point que les stations situées dans les districts habités se subdivisent en parcelles de moindre étendue et prennent une allure plutôt agricole que pastorale. On y récolte du vin, des céréales. On y fait de la culture maraîchère. Le squatter devient agriculteur. Cette transformation accroît plutôt qu’elle ne diminue le nombre des bestiaux vivans sur le sol. Lorsque les troupeaux peuvent être soumis à la stabulation par les mauvais temps et nourris pendant les mois de sécheresse avec les réserves de fourrages, il n’est plus besoin d’une surface de 2 à 5 hectares par tête de mouton. Sans doute la laine elle-même doit gagner en qualité et en finesse à ce nouveau régime de culture : en somme c’est une amélioration pour le pays ; mais enfin l’industrie pastorale primitive, qui a fait la fortune de l’Australie pendant un demi-siècle, tend à disparaître dans les provinces dû littoral à mesure qu’elles se peuplent ; elle est refoulée vers le centre du continent, où elle se trouvera moins favorisée, les transports devenant plus coûteux et les approvisionnemens plus difficiles.

Aujourd’hui le squattage se continue sous des formes bien diverses dans chacune des provinces qui constituent l’Australie. Depuis longtemps, l’élève des troupeaux n’est plus dans la Victoria qu’au second rang. Les terres, envahies par les agriculteurs et les chercheurs d’or, se sont divisées ; les stations ont diminué d’importance et d’étendue, et les immigrans trouvent des moyens d’arriver plus rapidement à la fortune en se livrant aux autres branches d’industrie qu’alimente une grande réunion d’hommes. En 1861, il y avait 1,029 stations pastorales ; une seule nourrissait plus de 50,000 moutons ; 744 en avaient moins de 10,000, et 71 moins de 500. Au nord de cette province, dans le bassin des rivières Murray, Murrumbidgee, Lachlan et Darling, s’étend un immense territoire qui est resté au contraire purement pastoral. Il n’y a là ni villes ni mines d’aucune sorte. Quoiqu’on soit à une très grande distance de la mer, l’exportation des produits du sol se fait sans peine, parce que les rivières sont navigables. Les stations s’étendent encore sur de vastes surfaces[1], et le squatter peut s’y livrer sans crainte à des travaux d’amélioration, l’éloignement de la mer étant une garantie qu’il ne

  1. On annonçait récemment dans les journaux de Melbourne la vente d’un domaine de ce pays qui peut servir de type aux grandes exploitations pastorales : c’est la station de Menindie, située sur le Darling, à 200 kilomètres environ du confluent de cette rivière avec la Murray, et où l’expédition de découvertes de Burke et Wills reçut un accueil hospitalier avant de s’enfoncer dans le désert. Le run s’étend le long du Darling sur 57 kilomètres de large et 38 kilomètres de profondeur. Les prairies sont salées et pourraient nourrir 100,000 moutons. Il n’y avait au moment de la vente que 80 chevaux, de 5 à 6,000 têtes de gros bétail et 12,000 moutons. Tout l’établissement, bétail, constructions et droit de pâture, a été vendu pour la somme de 1,075,000 francs.