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et des graines dont ils ne savaient que faire. L’avenir nous apprendra si cette tentative a eu plus de succès que les précédentes. Entre deux races qui diffèrent tant par les mœurs, par les instincts et par l’état social, on ne peut espérer une amalgamation complète. Il est même douteux que l’on arrive à les faire vivre côte à côte. Il serait préférable pour les indigènes que chaque tribu fût cantonnée sur un espace réservé, suffisamment étendu pour qu’elle pût conserver sa vie nomade, assez distant des établissemens européens pour que les noirs n’eussent aucun contact avec les colons. Encore cette mesure ne serait-elle bonne qu’à la condition d’établir ces réserves près des lieux mêmes où la tribu réside déjà, et de séparer les tribus les unes des autres, car les indigènes ne désertent pas volontiers leur pays d’origine, et des tribus différentes ne peuvent être rapprochées sans se mettre en état d’hostilité permanent.

Le sort des aborigènes de l’Australie est le côté lugubre du brillant tableau que nous offrent les colonies récentes. On se sent saisi d’une pitié profonde pour ces êtres inoffensifs que la fatalité condamne en masse à disparaître. Est-il donc inévitable que la civilisation écrase dans sa marche les races disgraciées qui n’ont pas su entrer assez tôt dans la voie du progrès ? Ici on ne peut accuser les hommes qui prennent la place du peuple sacrifié. À part des exceptions coupables que la morale réprouve et que les colons eux-mêmes ont flétries, il y a des causes qui font que la race inférieure en lumières et en intelligence doit être anéantie.


III

L’industrie pastorale convient surtout aux pays presque déserts. De grands troupeaux, vivant en quelque sorte à l’état sauvage, ne peuvent être conservés que dans les contrées où la population est rare. C’est d’ailleurs par ce moyen que l’homme peut le mieux utiliser les vastes solitudes qui ont été récemment découvertes, et mettre à profit la végétation spontanée qui recouvre les terres incultes, mais non stériles. La race ovine a le mérite de s’accommoder à tous les climats, car on la retrouve partout ; depuis la zone torride jusqu’aux latitudes froides. Sous l’empire de ces différentes causes, la production de la laine tend à se déplacer, et l’Europe, qui se contentait autrefois de ce qu’elle produisait elle-même, ne demandant qu’à l’Espagne les laines fines nécessaires à ses manufactures, reçoit aujourd’hui d’immenses quantités de cette matière première que lui expédient les colonies de l’Océan-Austral. Les importations d’outre-mer sont bien près de balancer la production, de l’ancien monde. À voir l’accroissement graduel de ces importations ainsi