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effrayer les indigènes ou les tenir à distance ? Mais par ce fait la guerre est déclarée. Au premier jour, un Européen surpris au milieu des broussailles sera assassiné, ou bien, en rentrant le soir à sa hutte, il trouvera sa femme et ses enfans percés de coups. Certes le sentiment de la vengeance ou de la conservation personnelle doit agir puissamment sur ces aventuriers qui ont quitté l’existence tranquille des villes pour la rude vie du désert. Alors le maître de la station réunira tous ses bergers et ses contre-maîtres, il fera appel à ses voisins, qui ont, comme lui, intérêt à tenir les aborigènes à distance, et il partira en expédition contre la malheureuse tribu qui a commencé l’attaque, jusqu’à ce qu’il lui ait infligé une sévère punition, et qu’il ait vengé par de nouveaux meurtres le meurtre qui a été commis. L’issue de la lutte ne peut être douteuse entre les fusils des blancs et les javelots de leurs adversaires. Aussi elle se termine presque toujours par la destruction de la tribu, dont quelques rares survivans abandonnent définitivement le terrain où ils avaient vécu jusqu’alors.

C’est ainsi que se fait la conquête de l’Australie. Et qu’on ne croie pas que ce soient là des scènes isolées ou accidentelles. En ce moment, la région où l’industrie pastorale a le plus d’activité et prend le plus rapide accroissement est la province septentrionale de la Terre-de-la-Reine. Or dans cette province, où les terres sont plus fertiles et les cours d’eau plus abondans qu’au sud du continent, les indigènes sont aussi plus nombreux, plus forts et plus belliqueux. Assurément ce n’est pas sans résistance qu’ils se laissent déposséder de leurs domaines, et cependant on n’entend dire ni qu’ils arrêtent les progrès des colons ni qu’ils se fusionnent avec eux. Sur qui doit retomber la responsabilité de cette déplorable lutte ? Les noirs sont chez eux, il est vrai, et les Européens sont des intrus qui viennent leur enlever leur patrimoine ; mais peut-on affirmer que les premiers ont le droit de détenir indéfiniment des terres qui sont improductives entre leurs mains ? Ce qui se passe en Australie n’est en définitive qu’une des scènes de la lutte éternelle entre la civilisation et la barbarie, et personne n’osera penser que la civilisation doive reculer ou seulement s’arrêter dans son cours. Si ses progrès sont marqués par de sinistres incidens, la faute en doit retomber sur ceux qui engagent la lutte les premiers. Les colons qui ne font que se défendre contre les attaques des aborigènes ou qui se bornent à exercer de justes représailles ne sont pas coupables du sang qui est versé. Que s’il en est dans le nombre qui maltraitent de prime abord les noirs ou qui dépassent les droits d’une légitime défense, ce sont eux qui porteront le blâme et la peine de cruautés inutiles et injustifiables.

Par malheur, l’antagonisme constant des deux races habitue le