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tarir pendant des chaleurs exceptionnelles, on essayait de creuser des puits pour avoir en tout temps de l’eau fraîche. Bref, à force de travail, d’énergie et de soins, Smith se trouvait en 1860 possesseur de 100,000 bêtes à laine, de 7,000 à 8,000 têtes de gros bétail, avec 700 ou 800 chevaux, répartis sur les diverses stations qu’il avait créées pendant sa vie active, et, loin de se présenter comme un exemple de prospérité singulière, il déclarait que les nouveaux colons de la jeune province de la Terre-de-la-Reine débutaient dans de meilleures conditions que celles qu’il avait jamais rencontrées lui-même.

Maintenant ne se figurera-t-on pas aisément l’existence des squatters de l’Australie, hommes aventureux, toujours énergiques, mais issus pour la plupart des classes aisées de la société anglaise ? Montant sans cesse à cheval, ils ont des habitudes de locomotion rapide, et les distances ne les effraient pas. Appelés fréquemment dans les villes par les besoins de leur industrie ou par les nécessités de la vie politique, à laquelle ils prennent une part active, ils conservent une existence fastueuse que leurs richesses leur permettent de soutenir. L’aspect de magnifiques capitales telles que Melbourne et Sydney nourrit en eux le goût du luxe. L’hospitalité patriarcale, qui est dans la tradition de la vie du désert, ajoute à la dignité du foyer. Les plus riches et les plus honorés d’entre eux sont d’ailleurs, par une conséquence naturelle des institutions anglaises, les magistrats du district qu’ils habitent. Le colon australien ne se confine jamais dans l’isolement. Il fait appel sans cesse aux bienfaits de l’association : aux limites des terrains habités, l’association le protège contre les noirs ; dans les districts mieux connus, elle facilite la construction des routes, les travaux publics de toute sorte ; elle répond même à des besoins plus nobles, à ceux du culte par exemple, Sur les plateaux du Darling, plusieurs squatters se sont entendus afin d’obtenir un prêtre, qui va faire le service divin dans chaque station à tour de rôle, une fois tous les deux ou trois mois. Les journaux parviennent dans tous ces établissemens, y entretiennent le souci des affaires communes et discutent en toute liberté les intérêts de la colonie. Jusque sous la hutte du berger, le voyageur retrouve les nouvelles récentes de la métropole.

Lorsqu’on entend dire que les provinces colonisées de l’Australie sont partagées en de grandes propriétés occupées par de francs tenanciers de la couronne qui y vivent toute l’année, qui y disposent de fortunes considérables, qui, exerçant sur leur territoire les fonctions de magistrats, y vivent en outre dans cette indépendance relative du pouvoir central que créent les grandes distances et l’irrégularité des communications, on serait tenté de croire que la féodalité