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serviteurs. D’autre part, la couronne ne voulait pas renoncer au droit, qui lui avait toujours appartenu dans toutes les colonies, de délivrer les concessions de terres, d’en déterminer l’étendue, et de fixer la redevance annuelle due par les fermiers. Cette redevance n’était pas un impôt ; elle ne devait pas être considérée comme une subvention accordée par les colons pour solder les dépenses communes de police et d’administration, mais bien comme la rente des terres vacantes, dont la propriété appartenait à l’état. Le gouverneur, sir George Gipps, faisait d’ailleurs remarquer qu’il y avait des inégalités choquantes dans la façon dont cette taxe était établie, attendu que chaque squatter ne payait que 250 francs par an, quelle que fût la surface qu’il occupât. Certains d’entre eux ne payaient pas plus pour 100,000 hectares que d’autres pour 1,000. Il proposait donc que la rente de 250 francs fût due par chaque station capable de nourrir 4,000 moutons ou 500 têtes de gros bétail, et, afin d’empêcher l’accaparement des terrains par les gros tenanciers, qu’il y eût une limite d’étendue, ou bien que les stations ne fussent pas distantes de plus de 11 kilomètres l’une de l’autre. Ces conditions étaient assurément équitables : la rente annuelle était peut-être une lourde charge pour les colons à un moment où l’industrie pastorale était dans la détresse, où l’argent manquait absolument ; mais le droit de la couronne à disposer elle-même des terrains libres et à en fixer le loyer n’était guère contestable. Il était évident que, si les propriétaires de troupeaux avaient été laissés maîtres des terrains, ils auraient abaissé la redevance à un taux dérisoire, et compromis l’avenir de la colonie en tarissant la principale source de ses revenus.

Les squatters étaient déjà les seigneurs du pays. Ils entouraient le gouverneur, remplissaient tous les conseils, et formaient à peu près seuls le parlement colonial. Les producteurs de laine étaient tout dans une contrée où l’agriculture proprement dite existait à peine et où le commerce manquait de stabilité. Aussi furent-ils écoutés. Le conflit fut terminé par un acte royal (orders in council) de 1846, qui les satisfit pour un moment. Au lieu d’une concession éphémère à renouveler d’année en année, les tenanciers obtinrent des baux de quatorze ans. On leur accordait aussi un droit de préemption, à raison d’une livre sterling l’acre, sur les terres de leurs stations que le gouvernement jugerait utile de mettre en vente publique, afin de favoriser les exploitations purement agricoles. On maintenait en outre le paiement annuel d’une redevance proportionnée à l’étendue et à l’importance de chaque station ; mais cette condition, qui avait paru exorbitante quelques années plus tôt, fut acceptée sans murmure, parce que le prix de la laine s’était