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laine de cette provenance était avantageusement connue sur les marchés d’Europe. Bref la prospérité de la colonie était fondée. Les concessions se donnaient d’habitude à cette époque par lots de mille hectares. Quelquefois on accordait une surface plus étendue pour récompenser de grands services rendus ; c’est ce qu’on fit en faveur de M. Mac-Arthur. Quant aux émigrans qui n’avaient que de faibles ressources pécuniaires, leurs lots étaient réduits à un mille carré, soit 256 hectares. Enfin les soldats libérés du service militaire ne recevaient que 16 hectares. Tous ces colons, considérés comme francs-tenanciers de la couronne, étaient confondus sous le nom de settlers. Lorsque plus tard ils furent en butte à la jalousie des autres colons, négocians et industriels des villes, on leur donna par mépris le titre de squatters, par lequel sont désignés, dans l’Amérique du Nord, les pionniers qui défrichent les terres inoccupées ; mais, bien différens de leurs homonymes des États-Unis américains, qui sont en général des hommes sans ressources, les squatters de l’Australie formaient déjà la classe la plus riche, la plus intelligente et la plus honorable de la colonie. Il n’était pas rare de rencontrer parmi eux des gradués des universités d’Oxford et de Cambridge qui s’étaient expatriés, ne trouvant pas dans la métropole l’occasion de mettre à profit leur instruction et leur activité. Ces traditions se sont conservées jusqu’à présent, et l’industrie pastorale est encore la profession qui attire le plus les immigrans des classes élevées.

Ainsi le mot squatter, introduit peu à peu dans le langage colonial et même dans les actes publics du gouvernement, désigne le propriétaire de troupeaux qui ne fait que parquer ses bestiaux sur les terres dont il a obtenu la concession. La surface de terrain dont il exploite sans culture les herbages, produit naturel du sol, est son run. Au centre, il se construit une maison où il réside : c’est là sa station principale, son home ; puis, si l’étendue de la colonie l’exige, il crée des stations annexes en divers points éloignés, des succursales en quelque sorte, entre lesquelles les troupeaux sont divisés et où résident les bergers. Lorsqu’il n’y a pas de tribu hostile dans le voisinage, il suffit de bien peu d’hommes pour garder et soigner des troupeaux de plusieurs milliers de têtes. Les aborigènes ne sont pas toutefois les seuls voisins que l’on ait à redouter. Il arrivait fréquemment, surtout à l’origine, que des convicts échappés s’associaient pour commettre des déprédations sur les stations isolées. Ils emmenaient le bétail volé, soit pour fonder eux-mêmes un établissement dans un autre district, soit pour le vendre à vil prix avant que le propriétaire se fût aperçu du rapt. Ces vols étaient d’autant plus aisés à commettre que la propriété des bestiaux ne peut se