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Nous serions heureux d’admettre sans réserve que le Nil qui coule à Gondokoro est bien celui que l’explorateur anglais a vu sortir du canal Napoléon ; mais nous sommes arrêté par de sérieuses difficultés qu’il soulève lui-même sans les résoudre d’une manière satisfaisante. Il reconnaît que, dans le circuit que le fleuve fait à l’ouest à partir des rapides de Karuma jusqu’à Paira, où il le retrouve sans le chercher, il a perdu une partie de ses eaux. Ce n’est plus ce fleuve magnifique qui, à Urondogani ou au confluent du Kafu, coulait majestueusement. Le volume comme la couleur de ses eaux sont changés. Pour rendre raison de ce phénomène, le capitaine Speke met le Nil en contact avec le lac Luta-Nzigé, dont il fait, comme nous l’avons dit, un réservoir où il déchargerait, à de certaines saisons, le trop-plein de ses eaux. Sur la carte qui accompagne son journal, il le fait passer le long du lac, ou plutôt il en forme la rive septentrionale dans une longueur de 30 à 40 kilomètres. Il veut que, sur ce long espace, les eaux du Nil ne se confondent avec celles du lac que dans une proportion qui lui permette de conserver son existence propre et son nom. Cette explication est-elle admissible ? Un fleuve peut-il couler le long d’une côte et à l’intérieur d’un lac sans confondre ses eaux avec celles de ce lac ? Mais ce fleuve en sort à l’opposite de son entrée. Oui, il en sort un fleuve, mais ce n’est pas le même. Pour qu’un fleuve ne perde pas son nom quand il entre dans un lac, il faut qu’il le traverse dans sa longueur. Le bassin de ce lac n’est alors qu’une vallée que le fleuve emplit pour continuer ensuite son cours. Tel n’est pas ici le cas, et si le tracé que donne le capitaine Speke était correct, le Nil de Gondokoro ne serait pas celui qui sort du Nyanza-Victoria, mais il serait le prolongement d’un fleuve qui descendrait des montagnes de la Lune, entrerait dans le lac à son extrémité méridionale, le traverserait dans toute sa longueur, et en sortirait au nord pour continuer sa course jusqu’à la Méditerranée.

Espérons, pour la gloire du capitaine Speke, que son tracé de la courbe que fait le Nil sous le 3e degré de latitude nord n’est pas celui que le fleuve dessine, et que l’explication qu’il donne du changement considérable que subit ce même fleuve dans le trajet est incomplète et prématurée. Dans cette explication, aucune renseignement n’est fourni par l’observation personnelle. Le lac Luta-Nzigé, son étendue, sa configuration, sa position géographique, son contact avec le Nil, tout est le fruit d’informations sollicitées et obtenues près des naturels ; or nous avons vu quelle valeur on peut parfois attacher à cette source de connaissances topographiques. Malgré ces observations, nous persévérons à croire que c’est bien le fleuve égyptien que le capitaine Speke a contemplé avec admiration