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de lui. Le nègre couronné examinait son hôte de la tête aux pieds, lui demandait par signes d’ôter son chapeau, d’ouvrir et de fermer son parasol ; puis il faisait remarquer à ses officiers le brillant costume de la garde d’honneur. Tant de merveilles ne s’étaient jamais vues dans l’Uganda. Enfin Mtesa lui fit demander s’il l’avait bien vu. « Pendant une bonne heure, » répondit le capitaine. Là-dessus le roi se leva et se rendit d’un pas majestueux dans une cour voisine, car l’étiquette exige que la démarche des rois de l’Uganda soit semblable à celle du lion.

La cérémonie de réception se divisa en trois parties qui se passèrent dans autant de cours différentes avec des spectateurs différens. Dans la seconde, le roi était avec plusieurs de ses femmes qui avaient sans doute réclamé leur part du spectacle. C’est dans cette cour qu’il rompit le silence qu’il avait gardé jusqu’alors pour demander aux deux officiers qui avaient commandé l’escorte du capitaine quel message ils avaient à lui délivrer de la part du roi du Karagué. Ceux-ci satisfirent à sa demande, puis, se jetant la face contre terre, on les vit se tordre comme des vers blessés et se relever la figure couverte de poussière. Dans la troisième cour, le roi pria le capitaine de s’approcher, et, ne sachant comment entamer la conversation, lui demanda pour la seconde fois s’il l’avait bien regardé. Le capitaine saisit cette question comme point de départ et commença par adresser à Mtesa des paroles flatteuses sur sa puissance, sa renommée et la race illustre dont il était descendu, puis, tirant une bague de son doigt, il la lui donna comme un gage de l’union qu’il voulait contracter avec lui. Le voyageur espérait ainsi s’attirer d’emblée l’amitié du jeune homme et l’amener à prendre l’engagement d’envoyer chercher Grant dans le Karagué, et de charger quelques-uns de ses officiers de descendre le Nil pour aller à la recherche du marchand Petherik, qu’il croyait arrivé déjà au lieu du rendez-vous ; mais il fut déçu dans son attente, La conversation fit tant de détours qu’il ne put y introduire le sujet dont il était si préoccupé. Le dialogue, il est vrai, n’était pas facile. Le capitaine devait d’abord s’adresser à Bombay, qui traduisait la phrase à l’interprète Nasib. Celui-ci aurait bien pu la transmettre directement au roi ; mais c’eût été contre les règles de l’étiquette : il devait la confier à un de ses officiers, qui la répétait à sa majesté, Mtesa n’attendait pas que la réponse à sa question lui fût parvenue pour en faire une, deux, trois autres. Il arrivait que les questions et les réponses s’entre-croisaient de la façon la plus bizarre. Malgré ces difficultés, cette dernière phase de la réception royale fut moins pénible que les précédentes. Le roi ayant demandé à l’étranger de lui montrer le fusil de chasse dont il se servait, le capitaine lui répondit qu’il lui en avait apporté un fabriqué par les plus habiles armuriers