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qu’ils allaient traverser du sud au nord en faisant un coude vers l’ouest, et dont la surface leur paraissait unie comparativement au pays qu’ils venaient de quitter. Ce plateau s’inclinait légèrement vers le sud et déversait ses eaux dans le fleuve Ruhaha, qui coule vers l’est et va se décharger dans l’Océan-Indien. On apercevait au nord un groupe de collines habitées par une des nombreuses tribus du Masaï.

L’Ugogo présente un aspect sauvage en harmonie avec le caractère des habitans, qui ne sont heureux que quand ils se battent. Ces habitans, les Wagogo, sont actifs, entreprenans, intéressés : ils fatiguent les voyageurs au-delà de toute expression ; ils vont en foule à leur rencontre, les accablent de questions, se moquent d’eux, entrent dans leurs tentes et pénètrent jusque dans celle des provisions ; aussi les caravanes évitent-elles de traverser leurs villages. Les Wagogo sont d’un brun foncé, avec un mélange de noir. Ils vivent dans des tombés, ou villages construits en terre, qui ont la forme d’un carré irrégulier d’une dimension considérable, et dont les côtés sont divisés en une multitude de compartimens. Au milieu se trouve une cour légèrement concave.

Toute cette période du voyage fut des plus pénibles. La famine sévissait dans l’Ugogo. Les Anglais durent fréquemment recourir à la chasse pour suppléer au manque de vivres. Ils avaient fait halte le 27 novembre non loin d’un village et avaient empilé leurs effets autour d’un arbre à larges membrures, lorsqu’un nègre affamé, qui contemplait leurs carabines, vint proposer au capitaine Speke de lui montrer un étang où des rhinocéros venaient toutes les nuits se désaltérer. L’occasion était belle. Ce soir-là même, le capitaine partit, accompagné du nègre et des deux fils du chef de sa caravane, qui portaient chacun un fusil de chasse. Arrivé à l’étang avant le lever de la lune, il se mit en embuscade dans un épais massif de roseaux où il attendit jusqu’à minuit. Le silence nocturne, l’aspect sauvage du site, les ombres bizarres que des arbres à formes étranges dessinaient sur le sol, jetèrent l’épouvante dans le cœur du nègre, qui décampa. Ce poltron n’était pas encore fort loin, lorsque le capitaine aperçut à l’horizon quelque chose de noir qui remuait. Cette masse se rapproche, les formes se dessinent, et le chasseur reconnaît l’animal qu’il était venu chercher. Sa démarche trahissait de l’hésitation : il regardait autour de lui comme s’il pressentait quelque danger. Le capitaine, après avoir fixé à la mire de son fusil un petit morceau de papier blanc, se glisse en rampant au pied d’un léger talus qui le cache aux yeux de l’animal, et dès qu’il se trouve à une distance convenable, il se lève, l’ajuste et lui envoie derrière l’épaule une balle qui le tue du coup. Encouragé par ce premier succès et désireux de faire une bonne provision de