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Les campemens présentaient chaque jour, à peu de chose près, le même aspect. Le chef arabe, aidé du factotum de la caravane, nommé Bombay, distribuait, à titre de ration, une quantité donnée de cotonnade, de celle surtout que les naturels appellent mericani, avec laquelle chaque homme pouvait se procurer ses provisions de bouche[1]. Les Hottentots, plus experts dans l’art culinaire, préparaient le dîner de leurs maîtres et le leur, ou s’étendaient nonchalamment sur l’herbe pour se remettre de leurs fatigues. Les militaires devaient monter la garde autour du camp, mais le plus souvent ils jouaient ou fourbissaient leurs armes ; d’autres gardaient les animaux au pâturage ; le reste dressait les tentes, coupait des branches d’arbres pour se faire des abris ou pour palissader le camp, ce qu’on oubliait assez souvent de faire. Après le repas, et lorsque le soleil était couché, les danses commençaient, accompagnées de battemens de mains et du tintement des sonnettes que les danseurs s’attachaient aux jambes. Ils marquaient la mesure par une répétition rhythmique du même mot.

Le capitaine Speke, de son côté, ne restait pas oisif. Il calculait, avec l’aide de son ami, les distances parcourues, notait les accidens de terrain ainsi que les cours d’eau, écrivait les noms des villages et des districts, faisait en un mot la topographie du pays. Il déterminait la hauteur de la station au-dessus du niveau de la mer, marquait la longitude et la latitude, tenait un registre des variations du thermomètre, consultait l’udomètre et en fixait sur le papier les résultats, écrivait son journal, classait les échantillons de minéraux qu’il avait recueillis dans la journée, confiait à son herbier les plantes rares qu’il avait trouvées, et préparait, quand il avait pu s’en procurer, les peaux des animaux dont il désirait enrichir les musées de l’Angleterre. Quand la chaleur n’était pas trop forte, il photographiait la nature et les hommes ; mais, ayant été obligé de renvoyer son appareil à la côte, il remplaça la photographie par des dessins à l’aquarelle que le capitaine Grant faisait avec beaucoup de talent. C’est ainsi qu’il a pu enrichir son journal de voyage de soixante et onze dessins fort bien exécutés. Les deux voyageurs dînaient à l’approche de la nuit, prenaient ensemble leur thé, fumaient leur pipe et se couchaient après.

La contrée qu’ils allaient parcourir, et en général la région subéqua-toriale dont l’Unyamuesi est le centre, a la forme d’un plat renversé. C’est un vaste plateau dont l’élévation varie de deux à cinq mille pieds au-dessus du niveau de la mer, et autour duquel s’étend un réseau de montagnes, en guise de cordon ou de bourrelet, auquel

  1. Voici le prix de ces provisions dans l’Usagara. Il fallait donner deux mètres de mericani pour avoir seize rations de blé, autant pour trois volailles, vingt mètres pour une chèvre, le double pour une vache.