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l’accompagner, ou plutôt pour diriger le voyage, car c’est lui qui était le chef de l’expédition ?

Le capitaine Speke partit donc seul le 9 juillet 1858. Le chemin qu’il devait suivre servait d’embranchement entre Kaseh et Ururi, cet entrepôt d’ivoire dont nous avons parlé plus haut : aussi rencontra-t-il sur sa route plusieurs caravanes, dont deux étaient chargées de dents d’éléphant. Rien de plus varié, de plus accidenté et quelquefois de plus riche que le pays qu’il parcourut. Il produit en abondance tout ce qui peut contribuer au bien-être physique de l’homme. Sa faune, comme sa flore, présente de magnifiques espèces. Le capitaine traversa douze districts, rencontra dans celui de Salawé des piliers de granit dont l’un était plus élevé que la colonne de Pompée à Alexandrie : on l’apercevait à une distance de 12 kilomètres ; dans un autre, il vit des mines de fer en pleine exploitation. Après vingt-cinq jours de marche, il atteignit, à son indicible joie, le lac d’Ukéréwé, qu’il baptisa, en fidèle sujet anglais, du nom de Victoria.

La science venait de remporter une grande victoire, car ce lac qu’il avait devant lui, et qu’il contemplait avec ravissement du haut d’une colline, était bien le lac de Ptolémée. Ces eaux, qui semblaient dormir à ses pieds avec un léger murmure, étaient bien celles qui avaient créé l’Égypte et la maintenaient au rang des nations. Quel eût été son bonheur de pouvoir explorer ce lac dans tous les sens et chercher le déversoir qu’il entrevoyait au nord, et d’où s’échappent en bouillonnant les eaux du Nil ! Avec quelle jouissance il aurait navigué sur cette surface liquide, qui avait à ce moment l’apparence d’un miroir immense, où venait se reproduire le magnifique azur des cieux, et visité ces îles, qui semblaient autant de bouquets qu’une main invisible avait mis dans l’eau pour leur conserver leur fraîcheur éternelle ! L’île d’Okérewé, qui a donné son nom au lac, l’aurait tout particulièrement attiré ; mais il ne put se procurer aucune embarcation, et, bien qu’il eût été reçu avec politesse par les chefs des districts ou des villages riverains, il ne tarda point à s’apercevoir que sa présence inspirait de l’inquiétude. Ces naturels ne pouvaient comprendre les motifs qui le portaient à leur adresser tant de questions sur le lac. Ils virent dans cette circonstance quelque chose de mystérieux ; ils craignirent qu’il n’eût l’intention d’exercer sur ces eaux une action malfaisante, magique, de les boire peut-être, comme on l’en accusa plus tard. Aussi l’un des chefs lui donna-t-il à entendre qu’il ferait mieux de s’en retourner pour ne plus revenir. Ce ne fut pourtant pas cette invitation qui le détermina à quitter ces rivages, mais bien l’épuisement de ses ressources. Il rentra à Kaseh, où il trouva